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Brève 2019 - Les menottes : histoire d’un retour forcé : quand l’arbitraire des pratiques policières s’oppose à la justice

dimanche 6 janvier 2019

Lors d’une permanence téléphonique plutôt calme dans le bureau de l’Anafé à Paris, le téléphone sonne à plusieurs reprises. C’est désormais la fin de l’après-midi, je viens d’appeler la police aux frontières (PAF) de l’aéroport d’Orly pour connaître le nombre des personnes actuellement maintenues dans la zone d’attente du deuxième aéroport parisien.
Sous mes yeux le bilan, un outil qui nous permet de coopérer entre bénévoles et, surtout, de connaître les informations principales des personnes que nous assistons. Ainsi, en appelant la PAF, l’objectif est de réussir à obtenir le plus d’informations possible quant aux personnes maintenues et aux sorties de bilan, à savoir celles qui ont été admises sur le territoire, placées en garde à vue ou embarquées vers le pays de provenance de leur vol.
C’est ainsi que, à ma demande, la PAF répond brusquement : « oui madame il y a du monde, mais nous ne communiquons pas ce type d’informations, il faut que vous vous déplaciez ». Pas de surprises. Je décide alors d’appeler les cabines téléphoniques de la zone d’attente d’Orly afin d’échanger directement avec les personnes maintenues. Cependant, je tombe sur un autre policier qui me demande le nom de la personne que je souhaite avoir au téléphone. J’en profite alors pour lui demander si les quatre messieurs présents sur le bilan sont encore en zone d’attente. A chaque nom, la réponse est tranchante : « Monsieur x n’est plus là ». Aucune information sur la sortie n’est donnée. A ce point, je raccroche.
Il est 16 h 30 et le téléphone sonne. Je réponds. Cela me prend quelques minutes avant de comprendre que je parle avec Adama, un monsieur Ivorien qui était déjà présent sur notre bilan puisqu’il a passé trois jours dans la zone d’attente d’Orly. La PAF lui avait refusé l’entrée sur le territoire pour un problème de visa. En effet, Adama avait déjà séjourné en France plus de 90 jours dans un délai de 180 jours. Au téléphone Adama m’explique qu’il n’avait aucune idée de cette limite : il voulait juste se rendre à Paris pour visiter sa compagne française, actuellement au cinquième mois de grossesse.
Adama appelle de l’aéroport de Tunis pour nous raconter ce qui s’est passé ce même matin : la police française l’a forcé à monter sur un avion en direction de Tunis. C’est ainsi que le vide créé par le silence de la PAF est tout de suite rempli par le témoignage ému de la violence physique et psychologique que le jeune Ivorien a dû subir. Encore en état de choc, Adama me raconte qu’à son refus d’embarquer, cinq agents de la PAF l’ont entouré, menacé et menotté. Ensuite, toujours avec les menottes, Adama a été conduit, à travers une route secondaire, vers la porte de l’avion où, à sa grande surprise, deux agents de la police tunisienne l’attendaient pour le faire monter. Ainsi, Adama a été obligé de monter de force dans l’avion une demi-heure avant tous les autres passagers, submergé par un sentiment de honte pour être « traité comme un criminel » pour un problème de visa.
Il est désormais presque 17h00, avec un sentiment d’impuissance extrême, j’écoute l’histoire de Adama qui, pourtant, n’est pas terminée. En effet, une autre information rend encore plus bouleversante son histoire - la violence de la police semblant ainsi s’opposer au pouvoir même de la justice. En effet, le lendemain de son embarquement Adama aurait dû avoir son audience au tribunal de grande instance de Créteil, pour laquelle il avait déjà eu de convocation officielle. Une fois à Tunis, avant d’appeler l’Anafé, Adama décide de contacter le tribunal de Créteil pour expliquer la situation. Ainsi, le greffier lui répond qu’effectivement la police aux frontières avait appelé pour dire que Monsieur avait spontanément décidé de repartir et que, de ce fait, il ne serait pas présent à l’audience.
C’est ainsi que le dispositif de la zone d’attente se transforme en un réseau complexe de mécanismes de pouvoir dont la personne maintenue, impuissante, ne peut que subir passivement les effets. A une procédure juridique extrêmement complexe et précise, s’oppose, paradoxalement, l’arbitraire des pratiques policières, accompagnées par une normalisation de la violence et de la criminalisation des personnes étrangères.

Anna, intervenante à l’Anafé,
2019

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