Accueil > Des histoires de zones d’attente > Brèves des militant.e.s > Brève 2021 - Cachez ce sang que je ne saurais voir
Brève 2021 - Cachez ce sang que je ne saurais voir
mercredi 6 avril 2022
Première permanence téléphonique à l’Anafé. Mon binôme me conseille de prendre des nouvelles d’Angélique (prénom d’emprunt).
Angélique est une ressortissante congolaise demandeuse d’asile. La veille, sa demande d’admission sur le territoire au titre de l’asile a été rejetée et, le matin-même, Angélique a été présentée au juge des libertés et de la détention.
Angélique est la seule femme maintenue dans la zone d’attente d’Orly ce jour. Je lui demande comment elle se sent, comment cela se passe. C’est à ce moment-là qu’Angélique me confie que cela fait trois jours qu’elle demande à la police aux frontières (PAF) des serviettes hygiéniques, en vain. Les policiers ignorent sa demande et lui répètent de revenir plus tard.
Angélique a anticipé l’arrivée de ses règles, elle devrait les avoir dans un ou deux jours. Elle semble profondément soucieuse et gênée de la situation. Angélique appréhende l’arrivée de ses règles en raison des conditions d’hygiène de la zone d’attente : elle ne peut pas changer de vêtements, ne peut se laver que le soir dans sa chambre. Elle m’évoque les violences gynécologiques qu’elle a subies, elle a peur que « cela s’infecte » pour reprendre ses mots. Angélique a tout simplement peur de tâcher les draps. Les draps « blancs » comme elle me le souligne bien.
J’informe Angélique que nous allons faire le nécessaire pour qu’elle obtienne des protections hygiéniques. Je raccroche avec Angélique et appelle directement la PAF.
S’en suit un long échange téléphonique avec le policier pour réitérer la demande d’Angélique et comprendre les raisons de ce refus.
La conversation se révèle totalement absurde. Un premier policier ne comprend pas ce que je lui demande : « Je ne comprends pas ce que veut Madame ». Je dois répéter cette même phrase à plusieurs reprises : Angélique « va avoir ses règles, il lui faut des serviettes hygiéniques ».
J’ai alors l’impression que le sujet des menstruations féminines est tabou. L’incompréhension de mes interlocuteurs me rendrait presque gênée de répéter cette phrase.
Le second interlocuteur est tout aussi interloqué par ma question, pourtant simple, à savoir : comment une femme maintenue peut-elle se procurer des protections hygiéniques ?
Je suis abasourdie devant la réponse du second policier : « On ne donne pas ces choses-là. De la nourriture, oui. Mais ça, non. »
Je demande alors au policier comment Angélique est censée faire, ce à quoi il me répond « Il faut qu’elle demande à sa famille de lui en ramener » et ajoute qu’ils n’ont pas de stock pour « ces choses-là ».
Tout au long de mon échange avec la PAF, ma binôme reste attentive et m’indique de ne pas hésiter à être plus ferme. Elle me rappelle bien qu’on ne lâchera pas tant qu’on n’aura pas de réponse concrète à notre question.
J’insiste alors et précise qu’Angélique a des règles abondantes et qu’elle a peur de tâcher les draps. Je n’aurais pas imaginé avoir à préciser de tels détails.
Et pourtant, ces détails provoquent un réel déclic chez mon interlocuteur. J’ai alors l’impression que le policier se soucie davantage de l’état de propreté des draps que de l’hygiène d’une femme maintenue sous sa responsabilité.
Après quelques minutes, le policier, parti se renseigner, reprend le combiné, vraisemblablement très mal à l’aise : « Alors, en fait si, je me suis renseigné et on a bien ça. Un collègue va partir donner ce qu’il faut à Madame. ».
J’insiste à nouveau « Par contre, il faut en prévoir plusieurs, une seule serviette ne suffira pas. ». Ce à quoi le policier me répond « Bien sûr ».
Après vérification, Angélique a bien reçu des serviettes hygiéniques suite à cet appel. Cette nouvelle est un véritable soulagement.
A la fin de cette première permanence, je suis assez bousculée et choquée. Choquée de l’absurdité totale de la conversation. Tout ce « cirque » et cette attente pour qu’au final, la PAF se rende compte qu’il y a bien un stock pour « ces choses-là ». Je pensais naïvement, avant cet appel, que des protections hygiéniques étaient en accès libre dans la zone d’attente. A vrai dire, je ne m’étais même pas posée la question, pensant que cela allait de soi.
Dès lors, cette première interaction avec la PAF m’a permis de réaliser deux choses : 1) que rien ne relève de l’évidence en zone d’attente ; 2) qu’insister est la clé.
En 2021, obtenir des serviettes hygiéniques pour une femme est encore vécu comme une victoire. Un tel sentiment en dit long sur les conditions de maintien en zone d’attente…
Sarah, intervenante Anafé, 2021