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Témoignage 2010 - 24 heures en « zone d’attente » Alger-Alger via Vigipirate

lundi 4 mars 2013

24 heures en « zone d’attente »
Alger-Alger via Vigipirate

Collaborateur à El Watan, Samir Ben a été déclaré « non admis » sur le territoire français à son arrivée à l’aéroport de Lyon, le 28 juillet dernier, par la PAF française. Retenu pendant 24 heures dans la « zone d’attente » de l’aéroport, le ressortissant algérien s’est vu reconduire vers Alger dans le vol du lendemain.

Motif officiel du refoulement : il était muni d’un visa affaires « sans motif professionnel », selon la PAF de l’aéroport de Lyon. « Le visa n’est pas un droit d’entrée, c’est la PAF qui autorise ou non », ont déclaré à l’Algérien les agents français. J’ai expliqué aux policiers que j’étais en vacances, ils ont appelé la famille lyonnaise chez qui je devais me rendre. Je devais leur prouver que j’étais journaliste en leur montrant mes articles sur Internet, en vain », indique Samir Ben. L’Algérien a été également surpris par les questions des policiers de l’aéroport concernant ses autres visas qui ne concernent pas l’espace Schengen. Il nous raconte ses 24 heures passées dans la « zone d’attente » avec des expulsés de plusieurs nationalités, dont beaucoup d’Algériens.

Témoignage.

Mes quelques jours de vacances, je les commencerai dans une cellule ou, dans un langage politiquement correct, dans une « zone d’attente » de l’aéroport Lyon Saint Exupéry. A l’entrée des bureaux, un agent me prie de signer l’avis de ma mise en zone d’attente. Je dois m’accroupir pour signer la feuille posée sur un banc. Avant de signer, il me dresse un beau tableau de mon lieu de « détention ». « Vous avez où dormir, une table, des douches, des toilettes et le téléphone en attendant l’avion de demain sur Alger à 14h », me dit-il. Je lui lance une dernière pique : « Apparemment, mon seul tort est que je suis Maghrébin ». Il ne bronche pas. On me met dans la cellule de garde à vue en attendant mon transfert dans la zone d’attente qui se trouve en bas, au même niveau que les pistes d’atterrissage. Dans la cellule climatisée, deux jeunes Algériens expulsés attendaient l’avion d’une autre compagnie qui devait les emmener sur Alger. Ils sont de la région de Sétif. Ils viennent de la zone de rétention de l’aéroport. Une sorte de prison par laquelle passent tous les expulsés. Dans cette zone, les détenus administratifs sont regroupés dans des salles. Les femmes sont séparées des hommes. Ils ont une cour commune de promenade qui ferme à 23h, la télévision, le téléphone (en réception, mais ils doivent payer les communications sortantes), des douches et des toilettes. L’administration française assure les trois repas quotidiens. Pour les suppléments (cigarettes, biscuits, etc.), ils doivent payer de leur propre poche l’agent qui prend commande chaque jour. Les draps sont changés une fois par semaine, en principe. « Il y a même de jeunes couples avec des bébés en attente d’expulsion », me disent-ils en me demandant des cigarettes algériennes et des nouvelles du pays, la valeur de l’euro. Ils voulaient que je leur échange des dinars contre des euros. Qui paie le billet retour sur Alger ? Ils répondent en chœur : « C’est Bouteflika ! » C’est l’Etat algérien qui prend en charge le rapatriement de ses ressortissants expulsés de France. « Vous avez du café ? », lancent-ils à un policier. « SVP monsieur ! », leur répond-il. Le café arrive après un quart d’heure avec paiement d’un peu plus d’un euro. Deux agents viennent chercher les deux Algériens pour les accompagner à l’avion d’une autre compagnie devant les emmener à Alger. Les policiers rajoutent de l’eau froide dans leur café qui était encore chaud, sans doute, par peur qu’ils ne le leur jettent à la figure. Ils m’embrassent et me souhaitent bonne chance. La cellule vitrée donne sur une salle de contrôle avec des écrans vidéo branchés sur les caméras de surveillance de l’aéroport. Le va-et-vient des policiers qui jettent des regards parfois sympathiques et d’autres moins, l’indifférence des autres, les discussions sur les « prises » quotidiennes me remettent les pieds sur terre : je suis dans une cellule. Un agent vient me chercher. Je lui demande comment allait se passer mon arrivée à Alger. « Vous allez refaire votre vie tout simplement. Bonne chance », dit-il. Son supérieur lance à haute voix devant tous les présents : « Descendez-le ! » « Me descendre ?! », me suis-je exclamé. Le policier commence à expliquer son idée. Je lance : « Brûlez-lui la cervelle avant qu’il ne s’explose », en référence à la bavure de la police britannique, après les attentats de Londres, qui a abouti à la mort d’un jeune Brésilien. L’heure de ma mise en zone d’attente est arrivée. Des policiers, désolés, m’expliquent en aparté que j’aurais dû demander à la famille française de m’établir une attestation d’accueil et que n’étaient les consignes et le plan Vigipirate, je serais passé sans problème. On m’accompagne jusqu’à la zone d’attente. Là, on me réexplique que je ne serai pas en garde à vue. La nuance est de taille. Le privilège ? Je garde ma ceinture et mes lacets. Un policier, très populaire parmi ses camarades, m’informe que le dîner me sera servi vers 19h, fourni par Air Algérie, le même plat qu’on sert dans les avions. La porte vitrée se referme sur moi. Le lieu n’est pas climatisé. Il y a une aire de séjour dont le seul mobilier est constitué d’une table et de deux chaises, deux téléphones (un à carte et l’autre à pièces), certainement sur écoute. Deux petites chambres, l’une contenant deux lits superposés et l’autre un seul. Au fond se trouvent des douches, des toilettes et un lavabo.

« C’est la police qui commande ici, pas toi ! »

Les draps étaient sales. Je frappe à la vitre couverte d’imprimés expliquant les droits et devoirs des mis en zone d’attente, les recours, les téléphones du HCR, de l’OIM. Le policier « populaire » m’explique qu’il ne trouve pas de draps propres. Il me suggère de dormir sur le lit en enlevant le matelas. Les militaires relevant du plan Vigipirate observaient à distance. Avec son supérieur, il tente de situer les responsables qui n’ont pas envoyé la literie au lavage. On finit par me ramener des draps d’oreillers, suffisamment pour couvrir le lit. Je suis seul. Une carte téléphonique que j’ai gardée de mon dernier déplacement en France me permet de contacter des amis en France et en Algérie. Il ne fallait surtout pas inquiéter ma famille ! Le plat d’Air Algérie arrive. Sans café. Je finis par m’endormir vers 1h. Le matin, un autre policier moins sympathique me garde. Je lui demande mon petit-déjeuner prévu dans les 311 euros, il me répond que ça allait arriver en replongeant dans son journal. Les militaires regardent un programme de téléachat sur une chaîne de télévision française. Un policier vient me chercher vers 9h. On me remet dans la cellule du commissariat. Un expulsé a pissé, la veille, dans la cellule. Les policiers appellent une femme de ménage pour nettoyer. Je suis rejoint par un Tunisien. Il est menotté. Il vient de la zone de rétention. Sa destination est, naturellement, Tunis. Il demande d’aller aux toilettes. Il met à rude épreuve les nerfs des policiers. Le ton monte. Un agent lui crie : « Tu es dans un commissariat et c’est la police qui commande ici, pas toi ! » Après son retour, il m’informe que beaucoup d’Algériens sont dans la zone de rétention. Il commence à échafauder un plan d’arrivée à Tunis. Il essayait de se convaincre que ce qui lui arrivait n’était pas grave après ses six ans « perdus en France ». Je lui demande s’il n’aura pas de problème avec la police de son pays. Il me répond que non. Il pourra même se faire établir un passeport. « Zin El Abidine a dit que tout le monde peut avoir un passeport même les expulsés », me dit-il en se lançant dans une discussion sur le raï et le regretté Hasni. Nous sommes rejoints par un jeune couple de Turcs. Ils sont bien habillés comme tous ceux qui passent dans la cellule. Ils sont à l’écart. La fille commence à pleurer. Le jeune homme essaie de la réconforter. Je me rappelle que mon petit-déjeuner que j’ai payé n’est pas encore arrivé. Je le réclame. On me demande de patienter. Les deux Turcs sont emmenés vers leur avion par des policiers. Le petit-déjeuner finit par arriver. Je le partage avec le Tunisien. Deux autres Turcs et un Roumain arrivent menottés. Les Turcs se replient sur eux-mêmes. L’un deux finit par craquer. Ils recevaient sans cesse des appels sur leurs mobiles. Le Tunisien est appelé à partir. Il me salue et me souhaite bonne chance. Je joue une autre fois l’interprète (allemand-français) pour ce Roumain. Surpris que je parle allemand, il me demande à l’aider à avoir des informations auprès des policiers. Un Algérien nous rejoint. Il est de la région de Chlef. Il vivait depuis 5 ans à Lyon. Il s’est retrouvé dans la zone d’attente après avoir été cueilli par des policiers en civil à la mairie le jour où il devait contracter son mariage avec une Française. L’administration française lui a demandé de se marier avec sa fiancée en Algérie. « Elle m’aime, elle est attachée à moi, elle va venir en Algérie, on va se marier et on revient ici », lance-t-il. Il a passé 15 jours en rétention. Il a accepté d’être reconduit à la frontière pour ne pas faire de la prison. A chaque refus, ce sont deux mois de prison. « Je ne peux pas les faire », me dit celui qui doit être embarqué sur un avion pour Paris pour rejoindre Alger. « C’est à cause de Jacuzzi (Sarkozy) qui n’aime pas les Arabes que je suis là », me dit-il. Il n’arrêtait pas de dire une chose et son contraire. « J’ai déjà envoyé une Renault Mégane au bled et j’ai 2000 euros sur moi, je n’ai pas perdu mes 5 ans en France », dit-il. Sa seule peur reste le regard des autres. Il regrette de ne pas avoir assisté à l’enterrement de son père. « Madame, je vais revenir avec un faux visa, ne vous inquiétez pas et vous n’allez rien voir », lance-t-il à une femme policier. « Bienvenue », lui répond-elle. Quand je lui dis que je suis journaliste, il me lance : « Vous êtes tous des vendus, vous ne parlez jamais des drames qui se passent dans les zones de rétention en France, vous avez peur pour vos visas ? » Quand je lui dis que devais écrire quelque chose sur mon séjour chez la police française, il me répond qu’il connaît le directeur de la Maison de la presse... Omar Belhouchet ! Des policiers viennent chercher l’Algérien, les deux Turcs et le Roumain. Ils me saluent. Je reste seul dans la cellule. L’heure de mon départ se rapproche. Je suis dans la cellule depuis 9h. L’avion est prévu pour 14h30. Je demande à aller aux toilettes. On m’y emmène. Ce sera mon seul et unique accès dans la zone de transit. Arrive mon tour pour partir. Je suis escorté par un CRS et un policier. Mes papiers ne me sont pas remis. Je dois les récupérer à Alger. Ils vont être remis au commandant de bord. Sur une enveloppe estampillée « République française, ministère de l’intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, Direction générale de la police nationale », les agents ont écrit au stylo mon nom et « passeport algérien, billet Lyon-Alger, Notification 2A ». Elle contenait mon passeport. Arrivé à la salle d’embarquement, les 375 passagers de l’Airbus A 330-200 étaient en train de se préparer à monter dans l’avion. Je grille toute la file d’attente avec les deux policiers. Certains passagers commencent à crier au scandale, croyant que je jouissais d’un privilège. Les autres qui ont compris ma situation observent silencieux. Je suis le premier à monter à bord. Je demande au chef de cabine à récupérer mes papiers, il m’informe que ce sera à la police algérienne de me les remettre. Je lui dis que je ne suis pas expulsé, il répond que c’est la procédure. Je prends place du côté hublot. 90 minutes de vol. Arrivée à Alger. Pour la première fois, je ne prends pas le bus des passagers, je monte dans un véhicule de police. Je dois attendre car, dans la soute de l’avion, se trouvait la dépouille d’un émigré de Béjaïa qui voulait être enterré dans sa ville natale. J’ai droit à une bouteille d’eau minérale du sympathique agent de police qui m’a accompagné jusqu’à la salle d’arrivée. Je lui demande si la procédure allait prendre beaucoup de temps, il me dit que ça prendra au maximum une demi-heure. Les policiers m’invitent à entrer dans un bureau, apposent le cachet d’entrée sur mon passeport. Je dépasse la douane et je suis à l’extérieur parmi les arrivants ! Je rentre chez moi par taxi pour 500 DA après négociation ! Mais mon cœur résistera-t-il à 20 jours d’absence ?

Samir Ben, 2010

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