Extrait du rapport France, Patrie des droits humains ?

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Amnesty International Section Française
mai 2004

DROIT D’ASILE :
UNE EVOLUTION INQUIETANTE

2- Arriver régulièrement en France est difficile pour un réfugié

Les réfugiés prennent souvent bien des risques pour fuir leur pays et passer des frontières. Les demandeurs arrivent en France au hasard des aides disponibles, des visas régulièrement obtenus ou achetés ou des réseaux des passeurs sollicités. Ils cherchent en général à rejoindre des membres de leur famille ou de leur communauté déjà exilés qui pourront leur venir en aide. C’est sans doute la raison principale qui a poussé des milliers d’Afghans et de Kurdes à séjourner dans le centre inhospitalier de Sangatte avant de poursuivre leur route. Les périples peuvent être longs et périlleux, avec des haltes dans divers pays, soit en cherchant à y travailler, soit en trouvant quelque assistance dans un camp de réfugiés avant de repartir. Selon les continents, les crises et les époques, des Européens traversent plusieurs pays par la route cachés dans un camion, des boat people vietnamiens, haïtiens ou cubains s’aventurent sur les océans, des Africains traversent des déserts ou des forêts inhospitalières ou des Tibétains franchissent des montagnes enneigées. Beaucoup échouent en route, certains rebroussent chemin, d’autres rencontrent mille épreuves, misère, exploitation, prison, voire la mort.

Menacées et obligées de fuir rapidement, les personnes en quête de protection peuvent rarement préparer leur voyage à l’avance. L’ambassade d’un pays européen est en général peu accessible surtout aux personnes non munies d’un passeport. AISF ne songe en aucune manière à encourager les filières mafieuses, mais constate que les restrictions à l’entrée sur le territoire européen poussent ces personnes vers des passeurs avec tous les risques que cela comporte pour leur vie ou leur sécurité. Il arrive qu’AI cherche à aider ces personnes en intervenant auprès du ministère des Affaires étrangères. Ces démarches sont rarement faciles, il est en effet nécessaire de convaincre à la fois les services du ministère et le consulat concerné. Lorsqu’un responsable d’un consulat français veut aider lui-même une personne qu’il sait menacée à se réfugier en France, il doit en général lui trouver une solution pour l’hébergement à l’arrivée. En 2003, 400 demandes de visas « asile » auraient été examinées, une centaine aurait été accordée. Au niveau de l’Union européenne, des travaux sont en cours pour envisager la création d’une « procédure d’entrée protégée » dans nos pays pour des personnes menacées mais la France fait partie des Etats membres peu favorables à la formalisation d’une telle procédure.

- Déplacement des contrôles, déplacement des frontières
Ces dernières années, les mesures destinées à dissuader, voire à empêcher les personnes d’arriver sur le territoire se sont multipliées comme la généralisation des visas et notamment des visas de transit aéroportuaire (VTA), le renforcement du régime des sanctions aux transporteurs, l’envoi d’officiers de liaison immigration (OLI) dans des pays d’embarquement, le scannage de documents ou encore l’utilisation de données biométriques dans des fichiers, sur les passeports ou les visas, empreintes digitales ou photos.

• L’instauration d’un VTA pour les ressortissants d’un pays suit en général l’arrivée d’un plus grand nombre de personnes originaires de ce pays ayant cherché à demander l’asile en France à l’occasion d’un transit. Ce fut le cas le 7 avril 2003 pour la Côte d’Ivoire alors que des Ivoiriens fuyaient la crise qui avait éclaté en septembre 2002. Les 27 pays figurant sur la liste en janvier 2004 sont pour la plupart des pays où les violations des droits humains sont avérées : Afghanistan, Albanie, Angola, Bangladesh, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Erythrée, Ethiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Haïti, Inde, Irak, Liberia, Nigeria, Libye, Mali, Pakistan, République Démocratique du Congo, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Sri Lanka et Syrie.

• Les entreprises de transport sont de plus en plus encouragées à renforcer les contrôles exercés à l’embarquement par leurs personnels ; la loi du 26 novembre 2003 a augmenté de 1500 € à 5000 € le montant de l’amende infligée à celles qui acheminent des étrangers démunis des documents requis et les a encouragées, par une diminution de 2000 € de cette amende, à mettre en place un dispositif de numérisation et de transmission aux autorités françaises des documents de voyage. En France, entre 1200 à 1500 amendes sont réclamées chaque année à des compagnies .

• Le réseau des officiers de liaison (OLI) se développe dans le monde. L’installation de tels officiers dans des aéroports de Chine et de Hong-Kong figure dans les accords signés en janvier 2004 lors d’un voyage du ministre français de l’Intérieur dans la région. Ces officiers peuvent en effet être affectés dans des aéroports étrangers à des tâches de contrôle des documents des passagers, après les contrôles effectués par les autorités du pays concerné. L’efficacité de ce dispositif devrait être accrue avec l’entrée en vigueur des accords européens de réadmission signés avec Macao et Hong Kong. Le ministère de l’Intérieur nous a précisé dans un courrier du 13 février que, pour la France, les délégations du Service de coopération technique internationale de la police (SCTIP) sont susceptibles de participer à l’activité du réseau des OLI « dans 96 pays » et que, pour la Chine, des fonctionnaires seront en poste « aux fins d’une meilleure assistance en matière de détection … des migrants potentiels ». En fait, comme le confirme le ministère, « les questions relatives au traitement des demandes d’asile ne relèvent pas des attributions de ces officiers ».

Un règlement européen adopté le 19 février 2004 prévoit que les officiers de liaison collectent des informations utilisées « au niveau opérationnel », notamment sur « les moyens d’aider les autorités du pays hôte à éviter que les flux d’immigration illégale ne se forment sur leur territoire ou n’y transitent ». Le règlement ne fait nulle référence aux normes internationales de protection des réfugiés et des droits de l’homme.

Que fera l’agent de la compagnie de transport ou l’officier de liaison français en poste dans un aéroport étranger si un passager leur montre des documents non valides pour embarquer et s’il affirme être un opposant en danger qui doit fuir rapidement son pays ? AI reconnaît aux Etats le droit de contrôler l’accès à leur territoire mais leur demande de respecter leurs engagements internationaux de protection des réfugiés et, en particulier, la Convention de Genève de 1951 et le principe de non refoulement. AI déplore que les travaux européens visent à renforcer des dispositifs répressifs qui ne préservent pas l’effectivité du droit des demandeurs d’asile d’accéder au territoire pour présenter leur demande.


4- Situation difficile pour les demandeurs d’asile arrivant aux frontières

Par rapport aux étrangers présents sur le territoire français, les demandeurs d’asile arrivant aux frontières sont soumis à une procédure de tri supplémentaire. C’est une procédure dérogatoire qui privilégie souvent le désir de contrôler les flux migratoires au détriment de la protection des réfugiés. Si une demande d’asile est considérée comme « manifestement infondée », le demandeur ne bénéficie pas d’un recours suspensif contre cette décision prise rapidement. Il peut être immédiatement refoulé, a priori vers son pays de provenance. Les conditions d’accès au territoire sont principalement définies par l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée par la loi du 26 novembre 2003. La décision d’admettre un étranger sur le territoire ou de le maintenir en « zone d’attente » relève de la compétence des services du ministère de l’Intérieur, de même que l’enregistrement d’une demande d’admission « au titre de l’asile ». Après enregistrement par la police aux frontières (PAF), un agent du ministère des Affaires étrangères examine la demande et transmet un avis au ministère de l’Intérieur, après avoir entendu les demandeurs arrivant dans les aéroports parisiens. Les personnes dont la demande est rejetée et qui refusent d’embarquer sont de plus en plus nombreuses à être déférées devant le tribunal correctionnel. Elles sont passibles d’une peine de prison et d’une interdiction du territoire français : en 2003, d’après le ministère de l’Intérieur, 1301 demandeurs d’asile ont fait l’objet de poursuites pénales pour avoir refusé d’embarquer, soit 22% du total des demandeurs .

- Diminution des demandes d’admission au titre de l’asile, chute des admissions
Ces deux dernières années, les demandes enregistrées aux frontières sont déposées principalement par des Ivoiriens, des Chinois, des Palestiniens, des Congolais et des Sierra Leonais. Le nombre de ces demandes a fortement chuté de même que le pourcentage de demandeurs admis sur le territoire au titre de l’asile :

• les mesures draconiennes mises en place pour contrôler l’arrivée des étrangers ont eu pour conséquence de réduire de 43% le nombre des demandes d’asile en deux ans (10 364 en 2001, 7786 en 2002 et 5912 en 2003) : les mesures dans les pays d’embarquement décrites ci-dessus, les accords signés avec des compagnies aériennes, la multiplication des contrôles « en porte d’avion » ou l’organisation de charters comme ceux vers Abidjan et Dakar en 2003 ;

• le taux d’admission au seul titre de l’asile par rapport au nombre de demandes est passé de 42,8% en 1998, à 21,6% en 2000, à 15,2% en 2002 et à 3,8% en 2003 .

Etrangers maintenus en zone d’attente

Les ministères expliquent la chute du taux d’admission au titre de l’asile par une « baisse de la qualité» de la demande et un examen plus rapide . L’arrivée de prétendus « faux demandeurs » ne peut être une explication satisfaisante, cette baisse révèle un durcissement inquiétant dans l’interprétation du caractère manifestement infondé des demandes. Ainsi, en 2003, les Ivoiriens ont été la première nationalité de demandeurs en raison de la grave crise qui secouait leur pays depuis septembre 2002, mais seuls 7% d’entre eux ont été admis au titre de l’asile . Certains demandeurs sont admis sur le territoire par décision du juge : le taux d’admission « judiciaire » s’établit entre 40% en 2001 et 16,5 % en 2003 du total des admissions alors que le taux d’admission au titre de l’asile n’est que de 5,5% en 2003 (3,8% par rapport au nombre de demandeurs).

Personne ne peut dire ce qu’il advient des étrangers empêchés d’accéder au territoire et il est à craindre que certains ne soient renvoyés directement ou indirectement vers un pays où ils risquent des violations de leurs droits.

- Baisse des arrivées et des admissions des mineurs isolés demandeurs d’asile
Un jeune Congolais arrivé de Johannesburg à l’aéroport de Roissy le 25 novembre 2002 a été refoulé dès le lendemain sans avoir pu faire enregistrer sa demande d’admission au titre de l’asile. Sa mère, alors demandeur d’asile sur le territoire et présente à l’aéroport, n’a rien pu faire. De nombreux courriers ont ensuite été adressés au ministère mais il a fallu plus d’un an pour que le jeune soit autorisé à rejoindre sa mère reconnue réfugiée statutaire entre-temps.

A diverses reprises, la CNCDH et l’ANAFE ont recommandé que les mineurs isolés demandeurs d’asile soient admis sur le territoire pour que leur situation y soit examinée attentivement. A défaut, lorsque la loi du 4 mars 2002 a décidé la nomination d’un administrateur ad hoc pour assurer leur représentation dans toutes les procédures, la CNCDH a jugé que cette personne devait avoir « une connaissance du droit des étrangers et des réfugiés » . Dans son second avis, la CNCDH a regretté que le décret du 4 septembre 2003 n’exige de l’administrateur ad hoc qu’un intérêt « pour la question de l’enfance » alors que les questions relevant de l’asile et de l’admission sur le territoire sont à l’évidence au cœur de ses interventions .

Le dispositif mis en place est notamment destiné à légaliser le refoulement de certains mineurs car la jurisprudence de la cour d’appel de Paris prononçait la fin de ce placement et en conséquence l’admission sur le territoire, au motif de « l’incapacité juridique du mineur » pour toute la procédure. La Défenseure des enfants s’est également insurgée à plusieurs reprises contre ces situations de mineurs maintenus dans la zone d’attente de Roissy et de leurs refoulements. Dans son rapport annuel 2003, elle regrette « la persistance de leur maintien dans des délais trop longs » et la poursuite de pratiques discutables « qui consistent à ne pas les considérer « en danger », ni relevant d’une tutelle ». Dans un avis du 27 juin 2002 sur les enfants soldats, elle déplore « un nombre inévaluable » d’enfants soldats refoulés « sans avoir pu faire valoir une demande de statut de réfugié ».

Le nombre de demandeurs d’asile se déclarant mineurs isolés à l’arrivée a diminué ces dernières années : 1067 en 2001, 628 en 2002 et 514 en 2003 ; le nombre des Sierra Leonais a fortement chuté : 21% des demandes en 2002, 2% en 2003. En 2003, 72% des demandeurs se déclarant mineurs isolés ont bénéficié d’une admission sur le territoire pour 79% en 2002 ce qui signifie que 132 ont été refoulés en 2002 et 144 en 2003.

La PAF met souvent en doute la minorité de ces jeunes. Les services médico-judiciaires procèdent à des examens cliniques plus ou moins approfondis, « mauvais scientifiquement » de l’aveu même du corps médical. C’est pourtant sur la base de ces examens médicaux que des personnes maintenues en zone d’attente se déclarant mineures sont considérées comme majeures par les services de la PAF. Selon le Dr Odile Diamant-Berger, chef des urgences médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu, « la législation relative à la détermination de l’âge devrait inclure des garanties minima telles que le bénéficie du doute, un délai de 20-24 mois, la prise en considération de l’histoire ethnique et culturelle de l’enfant et de sa maturité psychologique et pas seulement de son apparence dans la détermination de son âge, la présence d’experts et une contre-expertise » .

- Absence préoccupante d’enregistrement de demandes d’asile dans les ports
Le 13 février 2004, trois Congolais arrivent à Marseille comme passagers clandestins après un voyage éprouvant. Ils sont débarqués mais rapidement remis à bord sans enregistrement de demande d’asile. Pour éviter d’être refoulés et de continuer sur ce bateau, deux d’entre eux tentent de s’échapper en sautant par un hublot d’une hauteur de dix mètres. Ils se retrouvent à l’hôpital avec de graves blessures dans l’attente de pouvoir déposer une demande formelle à la préfecture.

Lorsque des passagers clandestins se trouvent à bord d’un navire arrivant dans un port, la consignation à bord semble rester la règle. Personne ne s’inquiète de savoir s’il s’agit de personnes fuyant la violence et cherchant une protection. Pourtant, cette pratique a longtemps été dénoncée et elle a été condamnée par le Conseil d’Etat dans une décision du 29 juillet 1998 : « le placement en zone d’attente constitue une obligation dont le non-respect rend la procédure irrégulière ». Aujourd’hui, environ 98 % des demandes d’admission au titre de l’asile enregistrées aux frontières le sont dans la seule zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Chaque année, presque aucune n’est enregistrée dans les ports : une vingtaine seulement en 2003 dans les ports de Bordeaux, Marseille, Brest, Calais, Nantes et Bayonne. En outre, les deux seules demandes enregistrées à Bayonne en 2003 l’ont été après intervention des associations.

Lors de la réunion annuelle sur les zones d’attente du 18 octobre 2000, le ministère de l’Intérieur a affirmé le principe selon lequel les personnes sont débarquées mais a déclaré que l’arrêt du Conseil d’Etat n’excluait pas le maintien à bord si le navire repart « immédiatement ». Comme les navires cherchent généralement à repartir rapidement, il est exceptionnel que des passagers clandestins soient admis en zone d’attente et, le cas échéant, autorisés à accéder à la procédure de demande d’admission au titre de l’asile. En outre, si une telle demande est enregistrée, il n’y a en général pas d’entretien individuel avec les services du ministère des Affaires étrangères, la décision est prise sur la base d’échanges de télécopies et d’un entretien avec un agent de la PAF rarement formé à la problématique du droit d’asile.

- Situation des étrangers maintenus en zone d’attente
Les principales difficultés évoquées par les étrangers en zone d’attente sont les suivantes : manque d’informations sur une procédure complexe, refus d’enregistrer certaines demandes d’admission au titre de l’asile, examen expéditif de ces demandes et absence de recours suspensif. Les conditions de maintien des étrangers à leur arrivée et leurs difficultés, en particulier dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy, ont été décrites dans de nombreux rapports de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) dont fait partie AISF. Le gouvernement a changé en 2002 et le nombre moyen d’étrangers maintenus un jour donné dans la zone de Roissy a chuté à moins d’une centaine début 2004 contre environ 400 à 500 en 2001. Entre 1995 et 2001, l’augmentation des demandes avait été particulièrement forte mais les moyens n’avaient pas suffisamment suivi, ni en personnel ni en locaux. De nouveaux locaux « assurant des prestations de type hôtelier » avaient été progressivement aménagés dans la zone de Roissy, ZAPI 2 aujourd’hui abandonné et ZAPI 3 respectivement pour 120 et 170 personnes, mais la situation avait empiré dans les aérogares, laissant parfois les étrangers « dans des conditions épouvantables », selon les termes d’un responsable du ministère de l’Intérieur . Pour régler les difficultés du maintien, le gouvernement a pris diverses dispositions décrites dans ce rapport pour enrayer les arrivées et accélérer les renvois avec, notamment, l’organisation de charters.

- Charters
En 2003, les « vols spécialement affrétés » ou « charters » ont été employés pour la première fois pour refouler des étrangers maintenus en zone d'attente : cinq vols vers la Côte d’Ivoire et le Sénégal à partir de la zone de Roissy. Le 19 novembre 2003, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a rendu un avis et des recommandations concernant les vols des 3 et 25 mars, pour respectivement 54 et 65 personnes accompagnées par 88 et 90 « escorteurs » . AISF a fait connaître ses préoccupations sur les « vol spécialement affrétés ». Tout d’abord ce type de renvoi peut conduire, dans un souci de gestion rationnelle des éloignements, à la recherche abusive de personnes à refouler afin de remplir l’avion réservé à cet effet. En outre, le risque de dérapages peut s’accroître par rapport aux vols réguliers du fait de l’absence de passagers commerciaux, au moment de l’embarquement ou pendant le vol. La Commission observe que plusieurs présentations au réembarquement ont été faites « sans respecter le délai d’un jour franc » fixé par la loi et qu’une personne a dû être ramenée en France car une erreur avait été commise sur sa nationalité.

La Commission précise que les personnes ont été transférées la veille des vols dans des bâtiments vidés de leurs occupants et que des représentants de leurs consulats ont demandé à venir et à consulter certains dossiers. Cette visite peut être particulièrement dangereuse pour des étrangers qui ont fui leur pays pour demander l’asile, même si leur demande a été jugée manifestement infondée au terme d’un examen particulièrement accéléré. Ainsi, au regard de la fréquente insuffisance des informations fournies, des problèmes linguistiques et de l'absence de recours suspensif contre la décision de refoulement, il est permis de douter de la conformité d'un tel procédé avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, la Convention européenne interdit « les expulsions collectives » lorsqu’une telle mesure est prise sans « examen raisonnable et objectif » de la situation particulière de chacun des étrangers .

Ces étrangers se trouvent en général en situation d’angoisse et de souffrance psychologique ; la présence nombreuse des « escorteurs » à l’embarquement empêche toute manifestation de résistance, seul moyen pour certains sur un vol régulier de faire comprendre au commandant de bord ou aux passagers leurs craintes en cas de renvoi. Ainsi, comme le remarque la Commission de déontologie pour les vols de mars 2003, plusieurs passagers ont été embarqués entravés, « à l’horizontale » et certains sont restés menottés durant le décollage contrairement aux recommandations du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Lors du vol du 25 mars, une femme aurait été embarquée « momifiée ».

En 2003, le ministre de l’Intérieur a proposé aux associations une place sur les charters ; le 26 mars, il a annoncé à l’Assemblée nationale que «dorénavant, un représentant de la Croix-Rouge ou d'une autre organisation humanitaire ainsi qu'un médecin accompagneront chaque vol ». Pour AI, dès lors que la liberté de témoigner serait garantie à un tel observateur et qu'il serait formé sur la question des pratiques de contraintes au regard des droits humains, la présence d'un membre d’une association indépendante peut participer de la mise en place du regard extérieur et indépendant à préconiser. Cependant, la plupart des associations ont fait remarquer que les phases précédentes sont les plus problématiques et elles ont jugé nécessaire de venir en aide aux étrangers avant leur renvoi, notamment grâce à un accès permanent aux zones d'attente sans conditions et sans limitations géographiques.

- Un accès variable des associations aux zones d’attente, une convention pour la zone de Roissy
Alors que 98% des demandeurs d’asile arrivent dans la zone d’attente de Roissy, l’accès aux postes de police des nombreux terminaux de l’aéroport a toujours été difficile pour les associations habilitées à visiter les zones. La police en interdit fréquemment l’accès sous des motifs divers comme la présence d’étrangers se trouvant « en cours de procédure ». Avant d’être conduits à ZAPI 3, ou encore récemment à ZAPI 2, des étrangers peuvent être maintenus pendant plusieurs heures, parfois pendant quelques jours, dans les locaux de police et, en cas d’afflux important de personnes, dans des locaux spécifiques supplémentaires.

Le 5 mars 2004, l’ANAFE a signé une convention expérimentale de 6 mois avec le ministre de l’Intérieur pour pouvoir « intervenir en permanence » dans certaines parties de la zone de Roissy. Comme sept autres associations , AISF est habilitée à visiter les zones d’attente et se rend régulièrement dans diverses zones . Ces visites sont cependant limitées à huit par an, par association et par zone et nécessitent une autorisation préalable. C’est pourquoi les associations demandent depuis des années un accès permanent pour venir en aide aux étrangers en difficulté. Une campagne de visites quotidiennes de la zone de Roissy avait été organisée pendant le mois de mai 2002 après discussion avec le gouvernement de M. Lionel Jospin . Les discussions ont repris avec le gouvernement nommé en 2002 : les associations habilitées ont été reçues par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, le 14 mars et le 6 octobre 2003 afin de discuter le principe et le contenu d’une convention permettant un accès permanent de l’ANAFE . Malgré des restrictions d’accès aux aérogares, un accord a été trouvé sur divers points : assistance juridique aux étrangers pour l’exercice effectif de leurs droits, possibilité d’« intervenir en permanence » et mise à disposition d’un local à ZAPI 3. L’ANAFE « s’est félicitée de cette première étape » et la convention expérimentale est entrée en vigueur le 12 avril 2004.

- Allégations de violences
Les allégations de violences policières reviennent régulièrement de la part d’étrangers maintenus dans la zone de Roissy, en particulier au moment de l’embarquement si leur demande d’accès au territoire a été refusée. De telles allégations sont rapportées dans divers rapports de l’ANAFE mais également mentionnées dans des rapports du Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, notamment celui de sa visite de juin 2002.

L’exemple le plus dramatique a été le décès d’un Ethiopien lors de son refoulement en janvier 2003, un mois après le décès d’un Argentin lors de la tentative d’éloignement au sortir d’un centre de rétention. AI faisait remarquer que, dans les deux cas, les personnes ont été placées à l’arrière de l’avion les mains attachées dans le dos et que la capacité respiratoire peut alors être amoindrie . AI a demandé au ministre de l’Intérieur l’ouverture d’une enquête ainsi que la nature exacte des procédures d’éloignement forcé et des éventuels moyens de contrainte utilisés et du recours à la force. Au sujet du décès de l’Argentin, le ministère nous a précisé, dans un courrier du 3 juin 2003, que l’autopsie avait conclu à une mort naturelle et que les fonctionnaires en charge des renvois recevaient un « enseignement adéquat portant sur les gestes techniques professionnels d’intervention ». Il était affirmé que les fonctionnaires n’avaient en l’occurrence fait usage que des seuls gestes « strictement nécessaires à l’exclusion de tout moyen présentant un risque d’asphyxie ou de suffocation (sparadrap, bâillon, casque, coussin …), de gaz incapacitant ou irritant, de tranquillisant ou de piqûre » tels que mentionnés dans les recommandations 17 et 18 du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Celles-ci précisent également, sans que le ministère en fasse état, que « l’usage de moyens de contention pouvant conduire à une asphyxie posturale doit être évité ».

Au sujet de l’Ethiopien, un juge d’instruction a été saisi, une information est en cours, les trois policiers ont été mis en examen pour homicide involontaire et la famille s’est portée partie civile. Selon des témoins cités dans le rapport 2003 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, « un des policiers était assis sur son dos et un autre lui tenait les bras derrière ». La Commission estime que l’Ethiopien « a subi des violences qui l’ont plongé dans le coma » et elle demande une étude avec le corps médical pour mettre au point les gestes techniques d’intervention adaptés.

- Des modifications inquiétantes introduites en 2003
Un étranger peut être maintenu pendant un maximum de 20 jours en zone d’attente : la PAF est responsable du maintien pour les quatre premiers jours, seul le juge peut le prolonger pour deux périodes successives de huit jours. La loi du 26 novembre 2003 a modifié certaines dispositions de la procédure d’accès au territoire :

• un étranger ne peut normalement être refoulé dans un délai d’un « jour franc » suivant la notification de non-admission sur le territoire mais cette interdiction risque de ne plus être effective ; en effet, pour ne pas être renvoyé avant l’expiration de ce délai, l’étranger devra désormais indiquer clairement qu’il « souhaite » bénéficier de ce délai. La circulaire d’application du 20 janvier 2004 ajoute que « le refus de signer le procès verbal de non-admission pourra entraîner la mise en œuvre immédiate de l’éloignement » ; cette formule présente dans la première version du projet de loi puis modifiée par le Sénat est reprise dans la circulaire ;

• l’interprétariat pourra être pratiqué par téléphone ou vidéoconférence, alors que, dans une décision de 1999, la Cour de cassation exige « une présence physique aux côtés de l’étranger » ; si l'étranger refuse d'indiquer une langue « qu'il comprend », la langue utilisée sera le français ;

• lorsque la demande d’asile est déposée dans les quatre derniers jours de la période de 20 jours, le maintien pourra être prorogé d’office par la PAF ; cette disposition participe d’une présomption de la volonté de frauder de l’étranger et ne tient pas compte des difficultés d’information et de compréhension de la procédure ;

• une zone d’attente pourra être étendue à tout lieu dans lequel l’étranger doit se rendre « soit dans le cadre de la procédure en cours, soit en cas de nécessité médicale » ou pourra être créée « à proximité du lieu de débarquement » ; ces dispositions indiquent la volonté de favoriser la souplesse et la commodité de la gestion de la zone d’attente par la PAF ;

• le juge pourra tenir ses audiences sur l’emprise de la zone d’attente « dans une salle spécialement aménagée à cet effet » ; une telle délocalisation, en particulier pour la zone de Roissy, nuit d’une part au principe d’indépendance et d’impartialité de la justice si le bâtiment jouxte le lieu où les étrangers sont maintenus sous le contrôle de la police et est cerné des mêmes grilles contrôlées par la police ; d’autre part, elle nuit au principe de publicité des débats si la salle d’audience est peu accessible du fait de son éloignement, du coût du déplacement pour s’y rendre, voire de la difficulté à la localiser. Ces craintes sont renforcées par la possibilité de tenir l’audience « avec l’utilisation de moyens de télécommunications garantissant la confidentialité de la transmission ».