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LIENS SOCIAUX / Migrations

Article paru dans la revue LIEN SOCIAL - N° 658 du 20/03/2003


Étrangers refoulés : le scandale des zones d’attente

dimanche 23 mars 2003, par Joël PLANTET


Deux associations d’aide aux étrangers dénoncent des dysfonctionnements accablants - dont des violences policières - dans la zone (de non-droit ?) d’attente de Roissy. Les charters sont de retour. Les droits de l’homme seraient-ils élastiques ?

Il y a quelques semaines, deux étrangers - un Argentin, Ricardo Barrientos, et un Somalien, Mariam Getu Hagos - décédaient dans le cadre d’un retour forcé dans leur pays d’origine, tous deux victimes d’un arrêt du coeur lors de leur maintien par les policiers à bord de l’avion. Le parquet de Bobigny ouvrait une information judiciaire contre X pour homicide involontaire. Des inspections devraient faire la lumière sur les circonstances de ces morts, mais leurs conclusions seront-elles rendues publiques ?

Depuis plusieurs semaines, le maintien de 400 à 500 étrangers dans la zone d’attente de Roissy les empêche d’être hébergés dans les conditions décentes prévues par la loi (un député a comparé les lieux aux « cales d’un navire négrier ») : plusieurs dizaines d’entre eux restent jour et nuit confinés dans des locaux exigus, sans aération, sans lumière naturelle, sans accès immédiat à des sanitaires et souvent sans possibilité de communiquer avec l’extérieur. Parmi eux, des dizaines d’Ivoiriens à qui l’accès au territoire français est refusé, le ministère de l’Intérieur estimant leur demande d’asile « manifestement infondée ». Non seulement les conditions de leur prise en charge sont inacceptables, mais des renvois (par exemple vers la Cote d’Ivoire) sont opérés pour des personnes qui disent craindre pour leur vie, sans qu’ait eu lieu l’examen de leur demande d’asile [1] !

Il semble que la seule solution envisagée pour désengorger cette zone soit l’organisation de charters, comme au bon vieux temps, lorsque Pasqua avait renvoyé, fin 1986, plus de cent Maliens. Fin février dernier, quinze Chinois ont été ainsi embarqués d’autorité pour Pékin ; début mars, 54 Africains non admis sur le territoire étaient collectivement expulsés sur Dakar et Abidjan. Pudiquement rebaptisés vols groupés, ces charters sont caractéristiques du mépris porté par les autorités : manque d’informations sur les procédures, examen rapide des dossiers, pas de recours suspensif, conditions d’embarquement plus que musclées, sans parler du refus de protection pour ceux qui en ont de toute évidence besoin...

Mais au-delà de ces constatations, l’impunité et le non-droit régneraient-ils en maîtres en zone d’attente ? L’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) avait d’ailleurs demandé - en vain - en décembre dernier au Premier ministre de saisir la Commission de déontologie de la sécurité intérieure afin qu’une étude indépendante et objective sur les conditions de renvoi des étrangers soit menée.

Des rapports accablants

En effet, les constatations des observateurs associatifs sont accablantes : violations récurrentes et délibérées des droits fondamentaux, refus répétés d’enregistrement des demandes d’asile, obstructions au droit d’accès des associations habilitées, refoulements quotidiens de personnes dont la demande n’a pas été prise en compte, pressions, intimidations, injures, brutalités, violences de tous ordres, difficultés d’accès aux soins...

Présents sur place, l’Anafé et Médecins du monde [2] ont recueilli des témoignages, effectué des visites régulières, animé une permanence téléphonique (qu’appellent parfois les passagers d’un vol, des professionnels d’aérogares ou... des policiers). Ils rendent publique aujourd’hui une litanie effrayante d’humiliations, de violences physiques, d’intimidations et d’injures, d’autant plus graves que commises par des agents dépositaires de l’autorité publique. Ensemble, les deux associations ont saisi le Comité de prévention de la torture, rattaché au Conseil de l’Europe.

Médecins du monde se déclare particulièrement inquiêt sur l’insuffisance du dispositif médical, la difficulté pour les personnes d’y accéder, les ruptures de traitement et les confiscations de médicaments, l’absence de tout professionnel de santé le week-end et la nuit, la gestion des urgences rendue ipso facto quasi impossible.

Lors de la rencontre des deux associations avec la presse, le 6 mars dernier, deux témoignages ont vivement marqué les esprits : un chef adjoint d’Air France a raconté le scotch et les menottes des expulsés - un ou deux en général, sur certains vols commerciaux -, les réactions des passagers, l’équipage ne disposant d’aucune information... La conférence de presse s’est achevée avec l’émotion du frère de Ricardo Barrientos implorant les personnes présentes « que ces morts aient un sens... »

Comme en réponse aux dénonciations des associations, le ministre de l’Intérieur s’est rendu le 5 mars dans la zone d’attente de Roissy et... a légitimé l’utilisation de « vols groupés » pour résoudre les problèmes de surpopulation de l’endroit. Il s’est par ailleurs engagé à ce que médecins et infirmières soient « présents jour et nuit » dans les locaux : (ancienne revendication de l’Anafé, ayant jusqu’à présent fait l’objet de promesses non tenues). Nicolas Sarkozy - qui rencontrait le 14 mars les associations « afin de redéfinir leurs conditions d’accès aux zones d’attente » - promet aussi des formations pour les policiers responsables de l’accompagnement des étrangers ; il annonce même la réservation d’une place à un représentant associatif sur chaque vol groupé. L’Anafé, elle, demande sans relâche un accès permanent sans conditions aux zones d’attente.

Joël PLANTET

[1] A lire : « Que reste-t-il du droit d’asile ? » A. Decourcelle et S. Julinet, L’Esprit frappeur (N°92)

[2] Anafé - 21 ter rue Voltaire - 75011 Paris. Tel. 01 43 67 27 52.
mail : anafe@globenet.org
Médecins du monde - 62 rue Marcadet - 75018 Paris. Tel. 01 44 92 15 15. WEB : www.medecinsdumonde.org

Article paru dans la revue LIEN SOCIAL - N° 658 du 20/03/2003