Retour au sommaire presse

 

 

Le Monde

11 mars 2008

C'est l'histoire d'Adam, qui voulait fuir les dangers de Grozny et rejoindre sa fiancée à Angers, et qui a obtenu in extremis le formulaire pour demander l'asile. Avant que la règle ne change...
Le dernier réfugié tchétchène

Assia et Adam, chez eux à Angers, où la jeune femme est installée depuis six ans. FRANCK TOMPS POUR " LE MONDE "

C'est dans un faubourg d'Angers (Maine-et-Loire), dans le studio de sa fiancée, native, comme lui, de Tchétchénie, qu'Adam Siev, âgé de 28 ans, a posé son bagage. Il salue les visiteurs d'un timide " bonjour ", l'un des rares mots de français qu'il connaisse. Visage carré, épaules massives, le jeune homme a l'air étonné d'être là. Il a raison. Sans doute est-il l'un des derniers émigrés tchétchènes à avoir pu gagner la France. L'un des derniers miraculés de cette guerre oubliée des confins de la Russie, qui n'ait pas, sitôt arrivé à Roissy, été renvoyé directement à Moscou. Adam Siev est un genre de migrant en voie d'extinction : il a eu finalement accès au formulaire de demande d'asile...

Il est vrai qu'Adam Siev est un voyageur atypique : plutôt que de s'envoler pour l'Europe d'un aéroport d'Ukraine, de Biélorussie, de Moldavie voire de Turquie ou d'Egypte - comme le font la majorité des candidats à l'exil d'origine tchétchène -, il a choisi de partir de Moscou, avec un billet pour Alger via Paris ou, plus exactement, via Roissy. Ce choix inhabituel se révélera payant.

" ON A EU LA TOTALE "
" Pour aller en Algérie, on a besoin d'un visa. Mais on l'obtient assez facilement ", explique Assia M., 24 ans, en France depuis sept ans, mariée religieusement à Adam. Les jeunes gens communiquent le plus souvent par téléphone mobile. Adam n'a qu'une idée en tête : rejoindre Assia, qui vit et travaille à Angers depuis six ans. Loin des soldats et des check-points de Grozny. Le dimanche 27 janvier, Adam décolle de Moscou. L'avion se pose quelques heures plus tard sur le Tarmac de Roissy. " J'avais dit à Adam : quand tu arrives, va tout de suite voir un agent de police et demande le droit d'asile ", poursuit Assia. Ce qu'il fait, docilement.

Conduit au local de police, où patiente déjà une famille de Tchétchènes en provenance du Caire, le jeune homme doit donner son passeport, ses billets d'avion et son téléphone mobile, que les policiers " éteignent aussitôt ". Quant à la demande d'asile, pas question. Il a beau dire et demander, les policiers restent de marbre. Impuissant, Adam est conduit sous bonne escorte jusqu'à " son " avion, en partance pour Alger. Après tout, n'est-ce pas la destination marquée sur son billet ? Arrivé à Alger, avec son visa en bonne et due forme, il téléphone à Assia. Il ne parle ni le français ni l'arabe. Et le tchétchène n'est pas franchement à la mode parmi les personnels de l'aéroport de Dar El-Beida.

Assia, en revanche, maîtrise parfaitement la langue d'Albert Camus et de Kateb Yacine : c'est elle, par téléphone mobile interposé, qui, de Paris, parlemente avec l'employée algérienne de la compagnie Air France, afin d'avancer la date de retour d'Adam. Ce dernier obtient une réservation sur le vol du lendemain, lundi 28 janvier. Cette seconde escale parisienne représente son ultime chance. Assia décide de venir l'attendre, avec une de ses amies tchétchènes. Elle appréhende un peu, forcément. Pour la jeune femme, aussi, c'est un moment crucial.

L'avion se pose à l'heure et Assia aperçoit la silhouette d'Adam, à travers la baie vitrée du terminal 2B. Ils se font signe. La jeune femme interpelle un agent de la police des frontières, pour savoir ce qui va se passer. Le fonctionnaire se montre aimable, Assia lui parle de la Tchétchénie, elle lui explique la situation d'Adam - qui fuit les persécutions et les violences. Le fonctionnaire semble attentif. Comme en passant, il demande à faire une copie de ses papiers d'identité. Assia ne se méfie pas. Elle propose même de servir d'interprète, en cas de besoin. Après tout, elle connaît la France. Elle-même est devenue française en 2006. Elle a confiance. Toujours flanquée de son amie tchétchène, elle suit l'homme jusqu'au local de police. Et le piège se referme : les deux jeunes femmes apprennent qu'elles sont placées en garde à vue, car suspectes d'" aide à l'entrée et au séjour irrégulier " d'un étranger.

" On a eu la totale : les menottes, les interrogatoires interminables, la fouille au corps à deux reprises, et une nuit de détention ", résume Assia. Ses copains, Jeanne M., une étudiante d'origine rwandaise, et Jean A., employé dans un fast-food et Angevin pure souche, réunis autour d'un café, dans une brasserie d'Angers, sourient. L'incident fait partie du passé. Car l'histoire, cette fois, s'est bien terminée. Quand l'avocate commise d'office rencontre les deux femmes, mardi 29 janvier, elle ne comprend pas ce qu'elles font là. Il faudra pourtant attendre l'après-midi pour qu'on les relâche.

Adam, placé en zone d'attente, subit le même traitement. Il a détruit son passeport, ses titres de transport et tout ce qui pouvait permettre de déterminer sa nationalité : pour pouvoir le remettre dans un avion à destination de Moscou, les autorités françaises doivent d'abord prouver qu'il est russe. Cette fois-ci, il a donc le temps et l'opportunité de remplir le formulaire de demande d'asile. Peut-être sera-t-il finalement débouté et expulsé du territoire français. Mais au moins aura-t-il la possibilité - prévue par la loi - de plaider sa cause. En attendant, il est lui aussi relâché, sur décision du juge des libertés et de la détention de Bobigny.

Adam Siev ne le sait pas, mais il est un " miraculé " : depuis le 1er février, l'obligation d'un visa de transit aéroportuaire (VTA) interdit à l'immense majorité des Tchétchènes candidats à l'exil de quitter la Russie. " Il va devenir de plus en plus compliqué d'arriver jusqu'en France. Mais, relève Martin Rosselot, coordinateur du Comité tchétchène, cela n'aura pour effet que de renforcer le commerce parallèle et les filières clandestines. Car les Tchétchènes continueront à s'exiler. " Selon lui, cela en découragera peut-être quelques-uns qui venaient pour des raisons économiques, mais certainement pas ceux qui ont des " raisons valables et légitimes " de demander l'asile.

Catherine Simon et Laetitia Van Eeckhout
© Le Monde