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Deux rapports dénoncent les violences policières en zone d'attente

Par Sylvia Zappi

Le Monde - 7 mars 2003


Un document de Médecins du monde sur la zone d'attente de Roissy et le rapport annuel de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), publiés jeudi 6 mars, fondent chacun sa critique sur des certificats médicaux établis lors de visites fréquentes.
"Une zone de non-droit indigne de notre pays." C'est par ces termes que se conclut le rapport de Médecins du monde (MDM) sur la zone d'attente de Roissy rendu public, jeudi 6 mars, à Paris, au lendemain de la visite du ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy.

La charge est reprise par l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), collectif qui rassemble entre autres la Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), Amnesty International et la Ligue des droits de l'homme, et qui devait publier le même jour son rapport annuel dénonçant aussi les "brutalités récurrentes" et les "violences de tous ordres émanant des forces de police".

Les deux documents s'appuient sur des visites régulières menées dans la zone d'attente de l'aéro-port de Roissy - Charles-de-Gaulle. MDM tient depuis la fin 2001 une permanence militante dans une camionnette devant la ZAPI 3 (zone d'attente pour personnes en instance), structure d'hébergement avant embarquement des étrangers en instance de reconduite à la frontière, et effectue des visites médicales à la demande des associations en l'absence du médecin de service de l'aérogare. Pour l'Anafé, ce sont des militants de huit organisations et syndicats, habilités par le ministère de l'intérieur à effectuer chacun huit visites par an pour assister les étrangers, qui ont dressé le constat lors d'une campagne de visites quotidiennes (29 au total), autorisée en mai 2002.

Pour étayer leur propos, les deux études citent abondamment les certificats médicaux rédigés par le service médical d'urgence et de réanimation (SMUR) ou établis par le médecin de l'hôpital Robert-Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, détaché à mi-temps, par convention avec le ministère de l'intérieur. Elles relatent encore les ordonnances de remise en liberté des juges du tribunal de Bobigny.

"GIFLES, COUPS DE PIED..."

MDM explique ainsi avoir recensé 60"cas de violences alléguées" en 2002 : "Dans 31 cas sur 60, les conséquences de ces violences ont fait l'objet d'un constat médical", insiste l'association. Dans 15 cas, un certificat médical a été rédigé et établit que les lésions constatées "sont toutes compatibles avec les propos tenus par les victimes" ; pour les autres, un certificat n'a pu être délivré, soit parce que le militant n'était pas médecin, soit parce que le constat a été fait plus tard au tribunal. De son côté, l'Anafé explique que, sur les 29 visites, les militants "ont été alertés de violences émanant des forces de police lors de 27 visites". La fréquence des faits dénoncés amène les deux organisations à "craindre que les actes de brutalité effectivement commis soient en réalité plus importants encore que ceux exposés".

Selon les deux rapports, les violences policières - qu'elles soient le fait des agents de la police aux frontières (PAF) ou des CRS appelés en renfort lors d'un cas de rébellion - interviennent à la descente de l'avion, après les "contrôles passerelle", dans les aérogares lors des démarches de demande d'asile, lors des transferts vers les ZAPI, ou encore dans les locaux de police où sont maintenus les étrangers non admis. MDM recense les nombreux types de violences : "gifles, coups de pied dans les jambes ou dans le bas du ventre, coups de poing au visage, "claquettes dans les oreilles", menottes trop serrées ou usage de matraque".

Le rapport de l'Anafé égraine, lui, sur 40 pages une litanie de témoignages très précis, recueillis sur deux ans de visites et de permanences téléphoniques. Ainsi, selon le rapport, le 5 février 2002, D. M., un Camerounais, résidant régulier en Angleterre, a été frappé d'un coup de crosse alors qu'il ramassait son passeport - pourtant en règle mais accusé d'être un faux - jeté à terre par un policier. Le certificat médical établira plusieurs blessures "compatibles avec les propos de D. M., à savoir qu'elles auraient été causées par une crosse de revolver". Le 3 mai, lors d'une visite, un Congolais (RDC) raconte qu'il a été piétiné par cinq policiers lors d'une tentative d'embarquement : "Il montre des marques de menottes aux poignets, des croûtes aux jambes" ; un certificat établit l'agression. Le lendemain, lors d'une visite, le rapport fait état "de nombreuses plaintes" de coups, vêtements déchirés et de vols d'argent avant la tentative de renvoi, émises par des hommes maintenus en ZAPI 2, située au Mesnil-Amelot. Une dizaine d'étrangers retenus dans "une salle minuscule de 5 ou 6 m2 au terminal 2F" auraient subi un "tabassage à dix policiers contre un" : "Une femme policier prenait plaisir à frapper, particulièrement au sexe ; l'un dit uriner du sang", précise le visiteur de l'Anafé. De nombreux témoignages évoquent cette même fonctionnaire et son "sadisme", à tel point que les associations ont signalé son cas à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère. En vain.

"DÉONTOLOGIE POLICIÈRE"

Plus troublant encore, de nombreux cas cités font l'objet de certificats médicaux spécifiques : un formulaire préimprimé rempli par les médecins où sont précisées les circonstances des violences. La case "agression" y est cochée et complétée par les termes "à l'aéroport de CDG". Les libellés médicaux se font ensuite plus explicites : "agression à l'aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle à l'embarquement à 23 h 00 le mardi 18 juin 2002" ; un autre, le 19 août, précise "par les fonctionnaires de police". Depuis l'arrivée de MDM et les pressions des associations, les médecins de garde semblent ne plus vouloir couvrir des pratiques trop courantes.

L'ensemble de ces accusations est porté en complément d'une critique en règle des conditions d'accueil en zone d'attente. Les rapports font état des "pressions psychologiques" pour forcer les étrangers à embarquer. Ils détaillent aussi les "humiliations" : réveils répétés en pleine nuit, séparation en fonction de la religion lors des déplacements, insultes racistes - le mot de "macaque" revient régulièrement -, privation de repas ou d'accès aux sanitaires... L'état des locaux, maintes fois dénoncé, ne semble guère s'être amélioré dans de nombreux terminaux, pas plus que les conditions d'accueil : sont ainsi stigmatisés l'entassement de plusieurs dizaines d'étrangers à même le sol dans des locaux exigus, l'absence de chauffage et de couverture au Mesnil-Amelot, les haut-parleurs appelant les "embarqués" toute la nuit...

Interrogé par Le Monde, le ministère de l'intérieur nie toute violence en expliquant que seuls deux cas ont été signalés et sanctionnés en 2002. La direction de la PAF admet que "le réacheminement sous escorte d'un étranger qui doit partir est un travail qui peut s'avérer délicat. Certains s'opposent violemment". "Mais, précise-t-elle, il y a une déontologie policière à laquelle sont soumis les agents de la PAF." Les syndicats de policiers reconnaissent les conditions "difficiles" des reconduites, mais démentent toute recrudescence des violences. "Nous n'avons pas plus d'incidents signalés, assure Xavier Bauguet, secrétaire général du Syndicat général de la police FO. Ces problèmes ont toujours existé face à des gens qui se traînent par terre ou qui hurlent ; on est obligés de les maîtriser."


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14 000 personnes renvoyées en 2002


Maintien en zone d'attente : créées en 1992 par la loi Quilès, les zones d'attente comprennent tous les locaux où sont maintenus les étrangers à qui les autorités ont opposé un refus d'entrée sur le territoire, qui sollicitent l'asile ou pour qui le transit a été interrompu (refus d'autorisation d'entrée du pays de destination ou faux visa). La loi précise que des "prestations de type hôtelier" doivent être offertes aux étrangers maintenus. A Roissy, deux bâtiments servent pour l'hébergement : les ZAPI 2 et 3 (zones d'attente pour personnes en instance) situées à proximité de l'aérogare. Ces locaux peuvent accueillir 296 personnes ; la police aux frontières (PAF) utilise aussi des locaux de police.

Loi : un étranger ne peut être reconduit contre son gré avant un délai d'un jour franc. Il peut, alors, formuler une demande d'asile. Après avis d'un représentant du ministère des affaires étrangères, la PAF se prononce sur la recevabilité de la demande. Si elle juge celle-ci " manifestement infondée", la PAF tente de renvoyer l'étranger dans son pays de provenance dès que le premier vol se présente. Le maintien en zone d'attente est contrôlé par le juge des libertés, qui, au terme de quatre jours, statue sur le renouvellement du maintien.
Ce dernier ne peut excéder vingt jours ; au-delà, l'étranger doit être relâché.

Afflux : en 2002, 19 079 placements en zone d'attente ont été exécutés par le ministère de l'intérieur contre 23 072 en 2001. 14 000 personnes ont été renvoyées, dont 1 733 sous escorte après avoir manifesté leur refus d'embarquer.