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Livre
Anne de Loisy a recueilli les témoignages des victimes dans la zone d'attente de Roissy.

Injures et violences policières

Par Charlotte ROTMAN

samedi 12 février 2005

Bienvenue en France, six mois d'enquête clandestine dans la zone d'attente de Roissy,
par Anne de Loisy. Le Cherche-Midi, 237 pages, 15 €.

C'est un lieu fermé, une zone de non-droit, soustraite au regard extérieur. L'«horreur de notre République», selon l'ancien député PS Louis Mermaz. A 30 kilomètres de Paris. En cachant son statut de journaliste, Anne de Loisy a passé six mois dans la zone d'attente de Roissy où chaque année se retrouvent 15 000 étrangers dont les autorités refusent l'admission en France. Elle y a travaillé comme médiatrice de la Croix-Rouge, d'octobre 2003 à avril 2004. Peu d'information filtre de cette antichambre de la France. Anne de Loisy rapporte d'ailleurs que les salariés sont invités par le président de la Croix-Rouge à «apprendre la discrétion» et à se méfier des journalistes qui «vous proposeraient des interviews sous garantie d'anonymat ou de l'argent en échange de révélations qui ne correspondraient pas à ce que nous aurions dit ou voulu dire». En six mois, note-t-elle, l'association ne dénoncera publiquement «qu'une seule des nombreuses violences constatées». Voilà pour la transparence.

C'est dire si ce témoignage est précieux. Il relate par le menu les injures racistes, les violences policières, les mauvais traitements, mais aussi les petites lâchetés qui font le quotidien de la zone d'attente. Ce qu'Anne de Loisy raconte, on en a eu des échos. Par des ­ très rares ­ témoignages de l'intérieur, par des enquêtes au cas par cas ou des rapports d'association. Mais l'accumulation sur six mois de ces épisodes montre à quel point la situation est insupportable.

Ce livre confirme le verrouillage des frontières, selon des procédés indignes. Le refus d'enregistrer la demande d'asile des étrangers est ainsi devenu une «pratique illégale mais courante». Des policiers font semblant de ne pas comprendre le terme «refuge» : «"Je ne parle pas tam-tam", expliquent certains d'entre eux pour se justifier.» Les agents du ministère des Affaires étrangères censés vérifier que les demandes d'asile ne sont pas totalement loufoques (dites «manifestement infondées») sont mis sous pression. «Lorsque je recommande une admission, deux fois sur trois ma hiérarchie m'oblige à changer mon avis», raconte l'un d'eux. Un récit qu'il a jugé «précis, circonstancié, crédible, convaincant, cohérent» devient alors «flou, contradictoire, et peu détaillé». Déclarée «manifestement infondée», la demande est jugée irrecevable en France, l'étranger peut être renvoyé par le premier avion. Le taux d'admission au titre de l'asile est passé de 42 % en 1998 à 3,8 % en 2003. Et les demandes d'asile ont elles-mêmes connu une baisse de 43 %, tombant à 5 600. «A lire ces données, on pourrait presque croire qu'il y a de moins en moins de violations des droits de l'homme sur la planète. Le monde irait-il mieux ?», ironise l'auteur.

Presque chaque jour, des violences sont signalées. L'auteur raconte sa «hantise de voir un policier venir demander des habits. Cela signifie en général que la violence a atteint son paroxysme». Pendant six mois, Anne de Loisy a recueilli les témoignages des victimes («ils m'ont tellement piétiné que je me suis chié dessus» ou «ils m'ont battu comme un animal») sans pouvoir rien faire de plus. Ses collègues parlent de leur impuissance dans leur cahier de liaison jusqu'à ce qu'une note de la direction mette fin à ces épanchements : «Nous vous demandons dans le respect du principe de neutralité de la Croix-Rouge de cesser tout commentaire sarcastique à l'encontre [de la police aux frontières] dans le cahier de liaison.» Surtout pas de vagues. Jusqu'à ce livre.