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anafé
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ssociation nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers

Note :

MINEURS ISOLES EN ZONE D’ATTENTE :

AVEC OU SANS ADMINISTRATEUR AD HOC,
LES DROITS DES ENFANTS CONSTAMMENT BAFOUES


4 octobre 2006

L’Anafé estime que le maintien en zone d’attente d’un mineur étranger isolé est incompatible avec l’état de danger dans lequel il se trouve nécessairement (1). Ce danger, qu’il soit durable ou ponctuel, est accru car un réacheminement est susceptible d’intervenir à tout moment, ce réacheminement est en effet inhérent à tout maintien en zone d’attente et il peut conduire le mineur vers une destination avec laquelle il n’a parfois aucune attache et le ramène parfois entre les mains de filières que les pouvoirs publics ont pourtant le devoir de réprimer.
L’administrateur ad hoc mis en place par le législateur est chargé de représenter le mineur pour toutes les procédures administratives et juridictionnelles afférentes au maintien en zone d’attente, mais l’Anafé a toujours estimé que cette mise en place n’apportait pas de véritable solution, dès lors que la seule autorité susceptible d’y répondre est le juge des enfants, en charge de la protection judiciaire de l’enfance.
Bien qu’opposée à la mise en place d’un administrateur ad hoc, l’Anafé a examiné leur fonctionnement depuis deux années pour la zone d’attente de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle et recueilli des informations auprès des familles ou des mineurs, grâce à ses bénévoles présents en zone d’attente ou en charge des permanences téléphoniques ou à travers différentes réunions avec les autorités ou avec la Croix-Rouge. L’Anafé avait accueilli avec beaucoup d’espoir l’arrivée de la Croix-Rouge mais, aujourd’hui, elle ne peut que tirer un bilan négatif à la fois du mécanisme mis en place par le législateur mais également de la manière dont la Croix-Rouge exerce sa mission.
Toutes les critiques émises par l’Anafé sont confirmées et la pratique révèle les carences de cette institution. Pour l’Anafé, le système lui-même est inopérant et n’offre pas de véritable protection aux mineurs étrangers maintenus en zone d’attente qui sont dans tous les cas en quête de protection.

Des violations de la Convention des droits de l’enfant

La Convention internationale des droits de l’enfant dispose que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »
Pour l’Anafé, le placement en zone d’attente d’un mineur isolé est incompatible avec cette disposition et une telle décision ne prend à l’évidence pas en considération l’intérêt supérieur de l’enfant.
Il s’agit clairement d’une décision qui repose avant tout sur des considérations liées aux intérêts de l’Etat en vue de faire appliquer sa politique migratoire. S’il peut être parfois dans l’intérêt de l’enfant de préparer son retour auprès de sa famille, aucune privation de liberté n’est pour autant tolérable.

L’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant prévoit également que : « L’arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit […] n’être qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible ». Il précise en outre que tout enfant privé de liberté doit être « traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge : en particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on n'estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l'enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites, sauf circonstances exceptionnelles ».
Enfin, les enfants privés de liberté doivent avoir « le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit prise en la matière. »
Le placement des mineurs isolés est d’ailleurs réprouvé de manière absolue par le HCR qui estime que les enfants séparés en quête de protection ne devraient jamais se voir refuser l’entrée sur le territoire ni être refoulés à la frontière, « ni être détenus pour cause d’immigration » (Déclaration de bonne pratique, programme en faveur des enfants séparés en Europe, 3ème édition, 2004).
Dans le même sens, M Alvaro Gil-Robles, alors Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, dans son rapport 2006 sur le respect effectif des droits de l’Homme en France, a pour sa part considéré que le fait que la législation française ne distingue pas les mineurs des majeurs et que l’admission des mineurs ne soit pas automatique constituent un « vide juridique » qui contrevient à plusieurs dispositions de la Convention des droits de l’enfant.
Il a en conséquence demandé aux autorités françaises de considérer les mineurs isolés comme des enfants en danger qui ne doivent pas être maintenus en zone d’attente mais placés dans des lieux bénéficiant d’un accueil spécialisé.
Qui peut sérieusement croire qu’il n’y a pas d’autres options que l’enfermement de ces enfants ?
En outre, la durée maximum prévue pour le maintien en zone d’attente, jusqu’à vingt jours, n’est bien entendu pas « aussi brève que possible » et s’avère excessivement longue pour des enfants, qui peuvent en sortir gravement traumatisés. A l’inverse, le maintien est parfois trop rapide et le mineur est réacheminé de manière précipitée, sans qu’il ait pu faire entendre sa cause de manière appropriée. Enfin, les enfants de plus de treize ans, en violation patente de la Convention, sont maintenus en zone d’attente sans être séparés des adultes et sans que rien ne soit prévu pour tenir compte des besoins de leur âge. Pour ceux qui ont moins de treize ans, ils sont séparés des adultes mais dans des conditions qui restent encore opaques (lieu inconnu, inaccessible aux membres de la famille et à l’administrateur ad hoc, sous la responsabilité de personnes dont les garanties ne sont pas justifiées), de telle sorte que personne ne peut vérifier que les droits attachés au maintien en zone d’attente sont respectés et peuvent être matériellement exercés par les intéressés dans des conditions satisfaisantes.
Enfin, leur droit de contester la légalité de la mesure de privation de liberté n’est pas effectif. En effet, d’une part, certains mineurs sont renvoyés avant même d’avoir rencontré un administrateur ad hoc et d’autre part les administrateurs nommés se refusent, dans les faits, à contester cette décision.

Une mission de représentation défaillante

L’administrateur ad hoc (AAH) doit assurer la représentation du mineur dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives à son maintien en zone d’attente, afférentes à son entrée sur le territoire et, le cas échéant, relatives à sa demande d’asile à la frontière. Il a donc un rôle éminent, tendant à s’assurer que les droits des enfants dont il a la charge sont effectivement respectés, tant en ce qui concerne les conditions de maintien en zone d’attente que dans l’exercice des voies de droit qui s’offrent à lui et qu’il ne peut pas mettre en œuvre lui-même. Toute défaillance ou simple manquement à cette mission prive de facto les enfants des droits qui sont les leurs.
Il est regrettable que les AAH de la Croix-Rouge, comme ceux de l’association SOS Victimes 93 avant eux, ne considèrent pas comme une obligation le fait d’être présents au côté du mineur lors de toutes les phases de la procédure et particulièrement, lors de son arrivée sur le territoire, lorsque lui sont notifiés non pas seulement les décisions de refus d’entrée et de maintien en zone d’attente mais surtout les droits qui sont attachés à ce maintien.
Dans ces conditions, sachant qu’un mineur est exposé au risque d’être renvoyé en quelques heures, l’intervention tardive de l’administrateur ad hoc prive un grand nombre de mineurs de toute possibilité de contester de manière effective les décisions qui sont prises à leur encontre.
La Croix-Rouge considère elle-même que la désignation n’est tardive que si elle est faite au-delà de 10 heures après l’arrivée en zone d’attente du mineur (CR réunion Croix-Rouge/Anafé 13 octobre 2005).
Les mineurs refoulés à la frontière se voient notifier une décision de refus d’entrée en dépit de leur statut d’« incapable ». L’obligation introduite à l’article L. 221-5 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA) de désigner un administrateur ad hoc chargé de représenter les mineurs n’est pas respectée. Cette disposition prévoit pourtant que la désignation est faite « sans délai » par le procureur de la République et ce, « lors de l’entrée en zone d’attente d’un étranger mineur non accompagné. »
La loi du 24 juillet 2006 réformant le CESEDA a encore réaffirmé ce principe en modifiant sensiblement le texte de l’article L221-5 et en ajoutant que le procureur de la République devait être avisé « immédiatement » par l’autorité administrative lorsqu’un mineur non accompagné d’un représentant légale n’était pas autorisé à entrer en France.
En pratique, l’administrateur ad hoc est toujours absent lors du placement en zone d’attente.
Cette situation est d’autant plus préjudiciable dans la mesure où aujourd’hui, pour prétendre au bénéfice du jour franc interdisant tout refoulement dans les 24 heures de l’arrivée de l’étranger, ce dernier doit expressément en faire la demande.
Les étrangers arrivant à la frontière ne sont pas au fait des subtilités légales et administratives. A fortiori, un enfant se trouve d’autant plus désarmé et ne saurait faire valoir lui-même ses droits dans de telles circonstances, d’autant qu’en qualité d’« incapable », ses capacités juridiques sont amoindries ou neutralisées. La présence d’un administrateur ad hoc est tout simplement décisive, car elle devrait offrir au mineur la faculté d’exercer véritablement ses droits. L’Anafé ne peut que dénoncer son absence car celle-ci s’apparente en pratique à une réelle privation des droits du mineur.
Fort de ce constat, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a d’ailleurs recommandé aux autorités françaises dans son rapport de 2006 de faire en sorte que l’administrateur ad hoc soit effectivement nommé dès l’admission du mineur en zone d’attente.

Face à cette pratique illégale, les AAH devraient contester systématiquement les décisions de refus d’entrée notifiées à des mineurs en leur absence. D’ailleurs, la circulaire interministérielle n° CIV/01/05 datée du 14 avril 2005 prévoit expressément que l’administrateur ad hoc « doit rendre effectifs les recours du mineur :
- devant la juridiction administrative à l’encontre de la décision de refus d’entrée sur le territoire, qu’elle soit ou non formulée au titre de l’asile à la frontière ;
- devant la juridiction judiciaire, tant en première instance qu’en appel, dans la procédure de prolongation du maintien. »
A cet égard, il convient de rappeler que dans le cadre de cette dernière procédure, il est possible de soulever toutes les exceptions de nullité constatées dans la procédure préalable à la saisine du juge judiciaire et qu’il est notamment possible de contester par ce biais-là l’absence d’administrateur ad hoc au moment de la notification du placement en zone d’attente et de son renouvellement.
Or, les administrateurs ad hoc de la Croix-Rouge n’ont jamais accepté de contester les mesures de placement en zone d’attente des mineurs qu’ils sont censés représenter, ni les modalités de leur notification qui sont singulièrement marquées par leur absence systématique. Cette absence n’a jamais été soulevée par un administrateur ad hoc devant le tribunal administratif ou devant le juge des libertés et de la détention.
Faisant valoir ses contingences matérielles, la Croix-Rouge a même accepté auprès du parquet que ses représentants soient désignés administrateurs ad hoc à la seule condition de ne pas devoir être présents lors du maintien initial en zone d’attente. Elle exige seulement d’être informée de cette décision. C’est donc très logiquement qu’elle s’est engagée à ne pas soulever d’exception de nullité de la procédure lorsque l’étranger comparaît devant le juge des libertés et de la détention, sauf dans les cas où elle n’aurait pas été informée de cette décision (CR réunion Croix-Rouge/Anafé 13 octobre 2005). Cet « accord » passé avec le parquet a donc pour objet et pour effet d’écarter d’emblée les garanties essentielles pourtant prévues par la loi, qui étaient d’ailleurs critiquées par l’Anafé lors de leur édiction en ce sens qu’elles étaient considérées comme largement insuffisantes. Cette situation est d’autant plus inacceptable que le mineur étranger est souvent éloigné du territoire quelques heures à peine après son arrivée, soit longtemps avant que la police aux frontières soit dans l’obligation de le présenter devant le juge judiciaire pour solliciter la prolongation de son maintien en zone d’attente.
Toujours en faisant état de contingences matérielles, il arrive que la Croix-Rouge refuse une mission et prenne donc le risque de laisser un mineur isolé en zone d’attente sans qu’il ne puisse faire valoir aucun droit.
L’aveu d’impuissance de l’administrateur ad hoc est donc criant : cet accord révèle bien que la mise en place de l’administrateur ad hoc est inopérante et, plus globalement, que le système retenu par le législateur l’est tout autant. Au nom d’une prétendue représentation légale qui n’est pas respectée voire tout simplement pas assurée, c’est en fait une véritable protection de l’enfant qui est bafouée.
On peut aussi déplorer que, bien souvent, les administrateurs ad hoc ne disposent pas d’une formation suffisante pour défendre efficacement les intérêts des mineurs isolés, ce qu’Alvaro Gil-Robles, regrette dans son rapport, notamment du fait « qu’ils se trouvent quotidiennement confrontés à des questions juridiques très pointues ».
Non seulement les administrateurs n’exercent pas leur mission de façon satisfaisante en ce qui concerne le placement en zone d’attente mais la question des dangers que les enfants peuvent encourir en cas de renvoi vers un pays de transit ou vers leur pays d’origine n’est pas prise en considération.
Aucune recherche n’est entreprise pour savoir si ces mineurs, dont certains sont très jeunes, ont de la famille ou des personnes susceptibles de s’occuper d’eux de façon satisfaisante à leur retour.


Une mission d’assistance qui n’est pas assurée

Dans le cadre de sa mission d’assistance, l’administrateur est aussi chargé d’identifier les enfants en danger au sens de l’article 375 du code civil. La circulaire du 14 avril 2005 précise qu’il peut « saisir le parquet de la situation du mineur à toutes fins utiles (dénonciation d’un crime ou d’un délit, d’une situation de maltraitance etc.) »
Or, dans les faits, les mineurs ne semblent jamais être informés de la possibilité qu’ils ont de saisir directement le juge des enfants. La circulaire d’avril 2005 n’évoque pas cette possibilité et la Croix-Rouge ne l’a pas intégrée dans sa pratique. Pourtant, le fait que l’administrateur ad hoc puisse communiquer au procureur d’éventuels éléments « susceptibles de justifier la saisine du juge des enfants » ne devrait pas pour autant le dispenser d’informer le mineur de l’ensemble de ses droits dans ce domaine.
Cette carence est d’autant plus regrettable que, dans la pratique, le juge des enfants de Bobigny s’est pour l’instant révélé beaucoup plus réactif et protecteur que le parquet.
En outre, l’administrateur ad hoc devrait faciliter les contacts avec d’éventuels parents en France ou à l’étranger. La circulaire d’avril 2005 rappelle même qu’il peut rencontrer, en dehors de la zone d’attente, les membres de la famille du mineur qui se trouvent sur le territoire français. Cet aspect de la mission des administrateurs ad hoc n’est à notre connaissance que trop rarement assuré par la Croix-Rouge.
Notre constat est que la Croix-Rouge ne prend pas suffisamment en compte les dangers pouvant résulter du maintien en zone d’attente.
Il apparaît pourtant que les conditions de ce maintien ne permettent nullement de garantir un séjour exempt de risque. Les moyens d’encadrement et de protection des enfants sont notoirement insuffisants.
Tout d’abord, on a pu constater par le passé que les conditions matérielles pouvaient très rapidement se dégrader et aboutir à des conditions indignes de privation de liberté. Ensuite, le juge des enfant est tout à fait à même de considérer que la moralité ou la sécurité des enfants de plus treize ans est menacée du seul fait qu’ils soient maintenus en zone d’attente dans les mêmes locaux que les majeurs. Enfin, la sécurité de l’enfant est directement menacée lorsqu’il est exposé à des violences.
Le risque de violences policières, notamment au moment de l’embarquement, ne peut pas non plus être nié et a souvent été dénoncé. Ainsi, dans son rapport 2003, rendu public en mai 2004, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a établi qu’un enfant avait « reçu des coups en lien direct avec la tentative de réembarquement : coups donnés au visage et blessures au poignet provoquées par la torsion volontaire des menottes ». Ce risque est d’autant plus préoccupant que l’actuel ministre de l’Intérieur a officiellement légitimé ces actes de violence à l’égard d’un mineur en répondant à la Commission que : « sur les contraintes exercées à l’encontre de M. W., il ressort que celui-ci a dû être maîtrisé avec la force strictement nécessaire par les fonctionnaires intervenants ».
En 2005, 466 mineurs ont été refoulés et 34 ont été refoulés par la force (2).
Enfin, il semble, que la Croix-Rouge ne dénonce jamais publiquement des situations qui sont pourtant inacceptables. Ainsi, elle sait très bien que de nombreux mineurs chinois sont renvoyés du territoire français avant même qu’elle soit désignée par le procureur de la République. Comment est-ce juridiquement possible si l’on sait que l’une des garanties essentielles qui doit être notifiée lors du placement en zone d’attente est l’information relative au bénéfice du jour franc ? On a peine à croire que la police aux frontières informe correctement et avec les précisions nécessaires les mineurs à qui elle notifie cette mesure et que ceux-ci renoncent librement et volontairement à ce droit qui n’est de surcroît qu’une faculté.
De même, elle sait parfaitement que les mineurs de treize ans sont hébergés dans des hôtels. Or, l’Anafé n’a jamais eu connaissance de protestation de la part de la Croix-Rouge alors même que ses administrateurs ad hoc ne peuvent jamais s’y rendre et vérifier les conditions dans lesquelles ces mineurs sont hébergés et les modalités dans lesquelles les droits afférents au maintien en zone d’attente peuvent être matériellement exercés. Comment peut-elle considérer qu’elle accomplit la mission qu’elle a acceptée sans pouvoir rencontrer la « nurse » aux côtés de laquelle se trouve le mineur, mineur que l’administrateur ad hoc doit non seulement représenter mais également protéger ?

La Croix-Rouge minimise aussi les dangers résultant des risques liés au retour.
Alors que les autorités françaises ne sont jamais en mesure d’apporter des garanties sur les conditions d’accueil des mineurs dans leur pays d’origine, ou pire dans le pays de dernier transit, les administrateurs ad hoc ne saisissent que très rarement le parquet et encore plus rarement le juge des enfants. Une telle inertie est inexplicable compte tenu, d’une part, des destinations les plus fréquentes, qui concernent des pays où la situation est particulièrement dangereuse, et, d’autre part, du fait que, comme on l’a vu, nul ne se préoccupe de la réalité de la situation individuelle de l’enfant et de l’environnement d’accueil qui sera le sien. En effet, même si c’est le danger personnel de l’enfant qui est le seul à pouvoir être pris en considération, l’Anafé regrette de constater que la police aux frontières remet des mineurs à des autorités comme celles de la Libye ou de la République Démocratique du Congo en affirmant que toutes les vérifications ont été effectuées en quelques heures.
Or, on constate à cet égard que lorsqu’il a été saisi, le juge des enfants a souvent conclu à l’existence d’un danger de nature à compromettre l’avenir du mineur concerné et à la nécessité de prendre immédiatement une mesure d’assistance.

Des expertises osseuses pratiquées illégalement

Les actes médicaux pratiqués à l’occasion de l’expertise visant à déterminer l’âge d’un jeune devraient être autorisés par les titulaires de l’autorité parentale conformément aux dispositions de l’article 371-1 du code civil. Compte tenu du fait qu’il ne s’agit pas d’une urgence vitale ou d’un risque grave pour la santé du mineur, il n’y a aucune possibilité de se dispenser de leur autorisation, sauf à nommer un représentant légal en leur absence qui consentirait à cet examen. Or, en pratique, on constate que l’autorisation des administrateurs ad hoc n’est jamais requise et qu’à notre connaissance, la Croix-Rouge n’a jamais protesté ni émis de réserve à ce propos.
De plus, le consentement du mineur devrait être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté (CSP, art. L. 1111-4). Les mineurs ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée à leur degré de maturité (CSP, art. L. 1111-2). Or, comme le relève le Comité consultatif national d’éthique dans son avis rendu le 23 juin 2005, l’expertise est généralement effectuée sans le consentement du mineur.
Là encore, les administrateurs ad hoc ne se préoccupent pas de savoir si l’administration a tenté de recueillir le consentement des mineurs comme cela est prévu par la loi.

L’examen du caractère « manifestement infondé » de la demande d’asile

Les administrateurs ad hoc devraient s’opposer à ce que des mineurs soient soumis à l’examen du caractère « manifestement infondé » de leur demande d’asile.
L’examen du caractère manifestement infondé de la demande d’asile d’un mineur isolé est en effet contraire aux recommandations du HCR adoptées dans le cadre du programme en faveur des enfants séparés en Europe (PESE). La Déclaration de bonne pratique du PESE précise que les enfants séparés en quête de protection ne doivent jamais se voir refuser l’entrée sur le territoire ni être refoulés à la frontière ni être détenus pour cause d’immigration ; ils ne doivent pas non plus être soumis à des entretiens poussés par les services d’immigration au point d’entrée sur le territoire (art. 1).
En revanche, ils doivent « passer par les procédures normales et se voir épargner les procédures alternatives comme celles relatives au "pays tiers sûr" (admissibilité), au "manifestement infondé" (accélérée)… » (art. 12.a).
Dès lors, il ne saurait être affirmé que la désignation d’un administrateur ad hoc a amélioré le sort des mineurs maintenus en zone d’attente. Bien au contraire, cette mission n’étant pas assurée dans l’intérêt exclusif des mineurs, elle ne peut qu’être fermement contestée.


Conclusion

Le législateur a cru bon de mettre en place un simple système de représentation légale pour répondre aux situations de danger auxquelles sont pourtant confrontés tous les mineurs isolés qui se présentent à nos frontières. Aux yeux de l’Anafé, ce système a toujours été insuffisant dès lors qu’il n’offre pas de protection adaptée et que le risque de refoulement vers un pays ne présentant pas plus de garanties est inhérent au maintien en zone d’attente et qu’il est susceptible d’intervenir à tout moment.
La pratique constatée depuis plus de deux années ne fait que confirmer l’Anafé dans ses convictions. Pire, l’absence systématique de l’administrateur ad hoc à des moments essentiels tels que la notification du maintien initial en zone d’attente et des droits qui y sont attachés ou sa défaillance, souvent volontaire, dans le cadre de sa mission, ont pour effet de bafouer ces droits et de fragiliser gravement la situation de ces mineurs qui se retrouvent parfois dans une situation finalement plus précaire que les majeurs, alors qu’ils sont tous, sans exception, exposés à un danger durable ou ponctuel, que les pouvoirs publics ont la responsabilité de prévenir.

(1) Voir la résolution du 30 juin 2005 dans laquelle l’Anafé a rappelé et exposé en détails les raisons de cette position.
(2) Statistiques fournies par le ministère de l’Intérieur et la police aux frontières lors de la réunion mensuelle avec les associations du 5 juillet 2006.