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Les demandes d'asile à la frontière

Extrait du rapport de l'Anafé, Guide juridique et théorique, mars 2006

 


Une procédure dérogatoire

La procédure d’admission sur le territoire au titre de l’asile est dérogatoire car elle échappe au pouvoir de décision qui est en principe dévolu à l’OFPRA et à la Commission des recours des réfugiés en matière d’asile. Elle laisse ainsi une large place au ministère de l’Intérieur qui agit souvent de manière prioritaire dans le sens de la politique des flux migratoires, au détriment des nécessités individuelles de protection.


1 - Procédure


Enregistrement

L’étranger qui sollicite l’asile à la frontière peut le faire dès son arrivée ou à tout moment durant son maintien en zone d'attente auprès de la PAF. La demande doit obligatoirement être prise en compte et la PAF dresse un procès verbal de demande d’admission au titre de l’asile (dite « DAP »). Ce sera le ministère de l’Intérieur qui prendra la décision finale.

Remarque : Cet enregistrement qui se faisait généralement lors de l’arrivée de l’étranger en même temps que sa notification de non admission, ne se fait plus en pratique qu’à ZAPI 3. La PAF et le ministère de l’Intérieur exigent que la demande soit « individuelle et personnelle ».


Audition

Dans la zone d'attente de Roissy-Charles de Gaulle, la demande enregistrée est transmise aux agents de la DAF (Division asile aux frontières) de l’OFPRA. Ces agents sont chargés d'entendre les demandeurs d'asile. L’objet de cet entretien est de connaître les motifs de la demande du requérant et de déterminer si elle n’est pas manifestement infondée. Après audition, l’OFPRA émet par écrit un avis motivé et le transmet au ministère de l'Intérieur.

Dans les autres zones d'attente, la procédure est différente : à Orly, les agents de la DAF se déplacent parfois, dans les autres zone d'attente, l’entretien se fait généralement par téléphone.


Décision

Le ministère de l'Intérieur, plus spécialement la DLPAJ, après consultation de l'avis de l’OFPRA, prend une décision sur le caractère manifestement infondé de la demande :

- soit il autorise l'entrée sur le territoire au titre de l'asile. Il est alors mis fin au maintien en zone d’attente et l’étranger se voit délivrer un sauf-conduit valable huit jours lui permettant de se rendre en préfecture et de déposer sa demande d’asile, tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

- soit il juge que la demande d'asile est manifestement infondée. Un refus d’admission au titre de l’asile, qui doit être écrit et motivé, est alors notifié par la PAF et l’étranger devient un « non-admis. Le refus est en principe accompagné de la décision motivée du ministère de l'Intérieur, impliquant le refoulement immédiat de l’étranger, le plus souvent vers le pays de provenance. Un recours contre cette décision est possible dans un délai de deux mois, mais il est sans effet suspensif. Son utilité pratique est par conséquent très relative. Une procédure en référé peut toutefois être envisagée .


Art. L. 221-1. L’étranger qui arrive en France (…) et qui (…) demande son admission au titre de l’asile, peut être maintenu dans une zone d’attente (…) pendant le temps strictement nécessaire (…) à l’examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée.

Article 12 du décret du 27 mai 1982 modifié par décret n°2004-1237 du 17 novembre 2004.
Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, la décision de refus d'entrée en France ne peut être prise que par le ministre de l'intérieur, après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


2 – Evolution de la demande d’asile à la frontière


En 1996, le taux d'admission était de 36% avec près d'un tiers des décisions de rejet fondées sur le principe du pays tiers sûr, écarté depuis par la jurisprudence. En 1997, le taux est remonté à 50% pour atteindre jusqu'à 60% en 1998. Mais les chiffres ont ensuite baissé en 1999 (36%), 2000 (29%), 2001 (18,4%) et 2002 (20,22%) pour atteindre un seuil très bas en 2003 3,8%. En 2004, le taux d’avis positifs est de 7.8%. Ce taux est largement inférieur à celui de l’OFPRA et la Commission des recours des réfugiés compétents pour la détermination du statut de réfugié. Le taux d’avis positifs en 2004 concernant les mineurs isolés est encore plus faible, 3.4%. Il semble être globalement remonté pendant l’année 2005 .

En 2004, 96% des avis ont été transmis au ministère de l’Intérieur dans les quatre jours, soit avant la comparution de l’étranger devant le juge judiciaire et alors qu’il reste sous le seul contrôle de la PAF.

Les demandeurs d'asile aux frontières sont parfois admis sur le territoire pour d’autres motifs (juge, raisons humanitaires, expiration du délai légal de maintien de vingt jours) mais ce taux général d’admission tend également à diminuer (94% en 2001, 75,2% en 2002, 68,8% en 2003 et 48,9% en 2004).


3 - Qu'est-ce qu’une demande d’asile manifestement infondée ?


Si la procédure est dérogatoire au droit commun, la question fondamentale posée par l’instruction des demandes d’asile à la frontière concerne les limites de l’examen pratiqué par les ministères. La loi du 6 juillet 1992 a précisé que le maintien en zone d’attente d’un demandeur d’asile ne se justifiait que « le temps strictement nécessaire à l’examen du caractère manifestement infondé de sa demande ». C’est autour de la définition et de la portée de cette formulation que se situe aujourd’hui l’enjeu du maintien en zone d’attente. Maîtriser leur accès au territoire est crucial pour l’Etat français s’il veut mener à bien les objectifs affichés de sa politique migratoire. En cela, la définition quelque peu obscure des conditions de recevabilité de la demande d’asile est d’une grande utilité au ministère de l’Intérieur pour justifier des refus d’entrée.

Donner une définition du « manifestement infondé » n’est pas chose aisée. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’un barbarisme, mal traduit de l’anglais (manifestly unfounded). Ensuite parce que l’analyse littérale n’est pas toujours suffisamment éclairante. Le terme « infondé » relève du négatif, celui de « manifestement » relève de l’évidence ou de l’a priori. La demande manifestement infondée serait donc une évidence négative : ce n’est pas à première vue et sans aucun doute possible une demande d’asile. Mais, sans définition légale, cette approche ne permet pas de déterminer quelles sont les limites de l’examen ni de donner un contenu juridique à la notion. Il faut se tourner vers la jurisprudence pour en cerner mieux les contours.

En théorie, l’examen du caractère manifestement infondé ou non d’une demande d’asile ne devrait consister à vérifier que de façon sommaire si les motifs invoqués par le demandeur correspondent à un besoin de protection (au sens le plus large : par référence aux critères énoncés par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, mais également à la protection subsidiaire introduite en France par la loi du 12 décembre 2003 ou toute autre forme de considération humanitaire). Il ne devrait s’agir que d’un examen superficiel, et non d’un examen au fond, de la demande d’asile, visant à écarter les personnes qui souhaiteraient venir en France pour un autre motif (tourisme, travail, étude, regroupement familial, etc.) en s’affranchissant de la procédure de délivrance des visas. Après admission sur le territoire, l’examen de l’éligibilité au statut de réfugié (ou la protection subsidiaire) reste de l’entière compétence de l’OFPRA, qui dispose des conditions adéquates pour effectuer toutes les recherches et investigations nécessaires : centre de documentation, traductions, expertise de document, vérification et recoupement d’informations. Une fois posés ces principes, il reste cependant une grande marge de manœuvre dans l’appréciation du « manifestement infondé ».

Cette notion issue du droit administratif est apparue pour la première fois dans une conclusion n°30-1983 du Comité exécutif du HCR qui a estimé que « les procédures nationales de détermination du statut de réfugié pourraient utilement prévoir des dispositions spéciales pour traiter avec célérité des demandes considérées si manifestement infondées qu’elles ne méritent pas un examen approfondi à chaque stade de la procédure ».

Elle a ensuite été précisée dans une décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1992 . Saisi par des parlementaires socialistes, celui-ci décidait d’apporter une réserve d’interprétation à propos d’une disposition permettant de priver de liberté les demandeurs d’asile. Le Conseil constitutionnel estimait que cette privation de liberté pouvait se justifier seulement si leur demande était manifestement infondée. Dans un autre paragraphe, relatif à la responsabilité des transporteurs acheminant des étrangers dépourvus des documents nécessaires à l’entrée sur le territoire, le Conseil indiquait que la clause d’exonération prévue dans l’hypothèse où la demande d’asile de l’étranger n’est pas manifestement infondée « implique que le transporteur se borne à appréhender la situation de l’intéressé sans avoir à procéder à aucune recherche ». De la combinaison de ces deux considérants de la même décision, on peut déduire que cette limite imposée aux compagnies de voyage s’applique également au ministre de l’Intérieur.

A l’époque de l’élaboration de la loi française, se définissait également au niveau européen un certain nombre de concepts rassemblés dans une résolution (dite « de Londres ») adoptée par les Etats membres de l’Union en décembre 1992. Une définition très large de la demande manifestement infondée (fraudes à la documentation, demande hors champ de la Convention de Genève, récit non circonstancié, ni personnalisé ou dépourvu de crédibilité, possibilité d’asile interne, existence d’un pays tiers sûr) faisait ainsi son apparition, qui, par confusion volontaire, a été utilisée dans les premières années d’application de la loi de 1992. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt d’assemblée du 18 décembre 1996 , a logiquement censuré cette confusion, en estimant que cette résolution, en l’absence d’effet contraignant et à défaut d’adaptation législative au niveau national, ne pouvait pas servir de base légale à une décision individuelle. En l’occurrence, le ministère de l’Intérieur avait rejeté la demande d’asile à la frontière sur le principe du pays tiers sûr, c'est-à-dire sur le fait que l’étranger avait transité par un pays dans lequel l’administration soutenait que l’intéressé n’était exposé à aucune persécution et aurait pu demander l’asile. Mais en réalité, c’est bien l’ensemble des définitions contenues dans la résolution de Londres que le Conseil d’Etat cherchait à écarter. En outre, il indiquait que l’examen à la frontière ne pouvait aller au-delà des critères utilisés dans l’examen de reconnaissance de la qualité de réfugié.

Saisi en référé, le Conseil d’Etat a réitéré son point de vue sur le pays tiers d’accueil. Il a notamment estimé que le fait d’avoir séjourné dans un pays tiers n’était pas un motif de refus, même si une demande de statut de réfugié y a été rejetée .

Le ministère de l’Intérieur a finalement admis qu’il devait renoncer à utiliser ouvertement le critère du pays tiers sûr mais en pratique, il continue à souvent recourir aux autres éléments de la définition de Londres pour apprécier les demandes d’asile à la frontière.

Une décision du Tribunal administratif de Paris, en date du 5 mai 2000 , permet enfin d’avoir une idée un peu plus précise en indiquant que la demande est manifestement infondée lorsqu’elle est « manifestement insusceptible de se rattacher aux critères prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, ou à d’autres critères justifiant l’octroi de l’asile ». Le tribunal a critiqué la décision ministérielle car celle-ci a « étendu son appréciation à la valeur intrinsèque de l’argumentation du requérant, pour considérer que les craintes de persécution apparaissaient peu probables ». Cette décision reprend la définition contenue dans la conclusion No. 30 (XXXIV)-1983 du comité exécutif du HCR du 20 octobre 1983.

Dès le jugement du 20 décembre 1996, décision dans laquelle il a posé le principe du droit des demandeurs d’asile à l’entrée en France, le Tribunal administratif de Paris avait jugé que le ministre de l’Intérieur avait commis une erreur d’appréciation en estimant manifestement infondée la demande d’asile d’un ressortissant soudanais en relevant uniquement que celui-ci, à l’appui de sa demande, avait fait valoir qu’il refusait d’être enrôlé dans l’armée gouvernementale pour combattre un mouvement indépendantiste dans la région d’où il était originaire. Le Tribunal indiquait ainsi que de simples déclarations étaient suffisantes, à l’exclusion de tout élément matériel, et que ces déclarations n’avaient pas à être précises et circonstanciées .

De l’ensemble de ces éléments de jurisprudence, il semble à peu près clair que cet examen doit se limiter à une évaluation superficielle visant à écarter uniquement les demandes ne relevant manifestement pas du droit d’asile, laissant ainsi le pouvoir d’appréciation et de vérification à l’OFPRA.

Cependant, la pratique est très éloignée de cette théorie et de la jurisprudence. Les définitions données par les ministères ne semblent offrir que des lignes d’orientation.

Remarque : Ainsi, sur le caractère manifestement fondé ou pas de la demande d'asile et sur la manière dont est portée cette appréciation, l’OFPRA indique que trois éléments sont à l'origine de cette appréciation :
- la demande ne relève pas de l'asile (motifs tirés de l'insuffisance des ressources de l'intéressé dans son pays, des mauvaises conditions de vie …) ;
- la personne présente des faux documents de voyage et n'apporte pas d'éléments d'explication sur leur origine ;
- le récit de l'étranger manque de cohérence, n'est pas personnalisé ou comporte des éléments manifestement erronés.

L’arrêt « Rogers » du Conseil d’Etat en 1996 a mis fin à la pratique selon laquelle était jugée manifestement infondée la demande d’un étranger provenant d'un pays tiers sûr signataire de la Convention de Genève où il lui était loisible de demander le statut de réfugié.

En réalité, l'examen des demandes à la frontière s’apparente de plus en plus à une prédétermination du statut de réfugié et cette tendance est de plus en plus nette . Il n'est pas rare que des agents de la DAF vérifient les informations contenues dans une demande ou qu’ils se permettent des interprétations de la Convention de Genève pour conclure à un refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile alors même que la jurisprudence de la Commission des recours des réfugiés permet finalement de reconnaître le statut sur le même fondement (par exemple : rejet car les persécutions n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève parce qu'elles n'émanent pas des autorités du pays ou parce qu'elles ne sont pas liées à une activité politique évidente). Des décisions sont aussi parfois motivées sur le simple fait que les allégations du demandeur sont jugés « peu probables » ou « étonnantes » et laissent ainsi entendre que les situations soumises n’ont pas été examinées avec la rigueur souhaitée !

Remarque : La directive du 1er décembre 2005 relative aux garanties minimales de procédure prévoit deux procédures distinctes à la frontière (article 35, paragraphes 1 et 2), qui devront être aménagées au plus tard le 1er décembre 2007. Qu’il s’agisse d’une procédure de détermination du statut de réfugié ou d’entrée sur le territoire au titre de l’asile, de nouvelles notions pourront être introduites, telles que celles de pays tiers sûrs, voire « super sûrs ».