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Anafé

Enfermés à la frontière : chronique de zone d’attente

newsletter n°1
juin 2009
parution trimestrielle

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Frontières : en géographie politique, ligne imaginaire entre deux nations, séparant les droits imaginaires de l’une des droits imaginaires de l’autre. Le Dictionnaire du Diable (1911) - Ambrose Bierce

 

Pourquoi une newsletter ?

Il s’agit de la 1ère newsletter de l’Anafé depuis sa création en 1989 !

L’action de l’Anafé est de veiller au respect des droits des étrangers qui se présentent aux frontières. Or, les membres de l’Anafé, ces « guetteurs » qui effectuent les permanences juridiques dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy, immergés parmi les étrangers de la zone d’attente, ont, au travers de leurs dissemblances, un sentiment commun : le respect des droits des étrangers, qu’il procède du droit français ou de celui des conventions internationales, est l’ exception. Le dispositif de protection fonctionne en trompe l’oeil. Entre les textes et les mesures censés être pris en leur nom, la contradiction est la règle. Force est de constater que ce qui prévaut dans la situation des étrangers aux frontières n’est pas le droit mais la volonté de mise à l’écart.

Or ce prix, parfois générateur de situations simplement ubuesques ou kafkaiennes, entraîne aussi, trop souvent, la mise en danger de l’intégrité physique et psychique de nombreux adultes et, dans certains cas, de mineurs isolés. Ce bulletin est donc un lieu de témoignages sur des histoires vécues en zone d’attente et sur leurs liens avec un flagrant déni de droit !

Ce bulletin à aussi pour vocation d’informer sur l’actualité de la zone d’attente et de lancer des initiatives tel que la campagne de sensibilisation en page 3.

 


 

 

 

 

 

D’Ingrid à Nathaly : y a-t-il « une lumière au bout du chemin »?

Les conditions de l’accueil des demandeurs d’asile aux frontières françaises restent bien mal connues. On peut, sans crainte de se tromper, avancer qu’il s’agit là d’une stratégie délibérée de la part des pouvoirs publics que de garder dans l’ombre une réalité qui, si elle éclatait au grand jour, ne manquerait pas de choquer les citoyens, toutes (ou presque) orientations politiques confondues. Dissimuler reste donc le mot d’ordre, à l’image de ce bâtiment austère et clôturé que l’on dénomme, dans le « jargon » des acteurs qui s’y agitent et s’y confrontent, la ZAPI (zone d’attente pour personnes en instance).
Parmi ces acteurs, il en est un dont le rôle est crucial dans le devenir de ces personnes qui, fuyant des menaces et des persécutions, sont parvenues jusqu’à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, pour chercher l’asile dans le pays que beaucoup d’entre elles considéraient – jusqu’à leur arrivée du moins – comme le pays des droits de l’homme. Cet acteur, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, est « chargé de l’application des textes français et des conventions européennes et internationales relatifs à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride et à l’admission à la protection subsidiaire ». Le service de l’OFPRA présent dans la ZAPI de Roissy intervient dans le cadre de la procédure dite de l’asile à la frontière : ses agents s’entretiennent avec les personnes concernées, et « examinent les motifs de leur démarche, en vue de communiquer au ministère de l’Immigration, dès après l’entretien, un avis positif ou négatif quant à leur admission sur le territoire ». La particularité de ce service de l’asile aux frontières est que les avis émis par les agents de l’OFPRA – et qui sont de facto repris tels quels dans la décision du ministère – doivent exclusivement porter « sur le caractère manifestement infondé ou non de chaque demande », l’instruction au fond étant réalisée à un stade ultérieur, lorsque la personne est entrée sur le territoire national.

La détermination de ce caractère « manifestement infondé ou non » devrait, en théorie, s’effectuer en référence au texte de la Convention de Genève de 1951 par lequel la France s’est engagée à accorder l’asile aux personnes « craignant avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques, (…) et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. »

Pourtant, force est de constater que la loi s’efface, en ZAPI, devant les exigences d’un Etat qui a renoncé à ses engagements.
Nathaly est une jeune colombienne de 21 ans. Est-ce en raison de son bonnet rose et de ses yeux candides qu’elle n’a inspiré que de la défiance à l’agent de l’OFPRA censé l’avoir entendue ? Les cicatrices interminables qu’elle porte sur le corps font pourtant tressaillir, et trahissent l’atrocité de ces souffrances que les yeux brillants de la jeune fille pourraient faire oublier. Nathaly parle, aussi. Elle l’a pourtant expliquée, son histoire. Cette histoire qui a commencé lorsqu’elle n’avait que 14 ans, et que les FARC ont abattu son père, avant de la prendre en otage. Six mois attachée à un arbre, violée à plusieurs reprises, tombée enceinte. « Puis ils ont tué mon bébé ! »…un second enlèvement, à l’âge de 18 ans, encore huit mois passés enchaînée à un tronc, sous-alimentée et maltraitée. Ses cicatrices sont là pour le lui rappeler, si tant est que ce passé-là puisse s’oublier. Nathaly se défend, aussi. Elle a même apporté des preuves qui pourraient l’aider à se débarrasser de cette suspicion dont tous les habitants de la ZAPI sont la cible. Certificat de décès de son père, certificat de naissance de son bébé…et la lettre de sa mère : « Dans cette situation je vous demande s’il vous plait de prendre ma fille dans votre pays, car c’est la seule manière de la maintenir en vie ».

Nathaly a « eu son rejet ». « Ses propos lapidaires apparaissent particulièrement puériles ». L’indignation, et la colère, ne permettent plus aujourd’hui de garder le silence.
Quelle est cette justice qui relègue avec mépris Nathaly dans les oubliettes du caractère - ô combien fallacieux – « manifestement infondé » de sa demande, de son histoire, de son passé, et de cet avenir qu’elle a perdu en un instant ?

« Que tous ceux qui souffrent dans le monde sachent qu’il y a une lumière là, au bout du chemin » déclarait alors le président de la République. Tout semble bien éteint dans les couloirs de la ZAPI.

Un peu par hasard, grâce au coup de pouce d’un jeune palestinien qui l’avait vu pleurer dans le « jardin » de la ZAPI, Nathaly est venue au bureau de l’Anafé. Nous ferons un recours contre la décision de l’OFPRA : 2h d’entretien, 2h de rédaction, au bas mot. A notre grande surprise – car nous sommes hélas trop habitués au fonctionnement bien rôdé de la « machine à refouler » - le Tribunal administratif acceptera sa requête et annulera le rejet. Soulagement quelque peu amer. D’abord, parce qu’il s’agit malheureusement d’une vraie exception – la très grande majorité des recours devant le TA sont rejetés, quelque soit la gravité des cas présentés. Ensuite, parce que cela n’ôte rien à l’injustice commise par l’OFPRA à l’égard de cette personne, et donc au non respect par l’Etat français de ses engagements vis-à-vis des demandeurs d’asile. Enfin, parce que ce n’est que le début d’un long et difficile processus en vue de l’obtention du statut de réfugié : sur le territoire français, la demande d’asile de Nathaly devra de nouveau passer au crible de l’OFPRA.

Marie - intervenante de l’Anafé en zone d’attente

 

 

En 2008, 5.781 demandes d’asile à la frontière ont été enregistrées à Roissy.
L’Anafé a recensé 39 refus d’enregistrement mais ce chiffre doit en réalité être supérieur car des personnes sont refoulées avant même d’avoir pu enregistrer une demande d’asile.


Zone d’attente : recours contre un refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile

Proposition de loi pour un transfert de la compétence juridictionnelle à la Cour nationale du droit d’asile

http://www.anafe.org/asile.php

Le principe de la demande d’asile déposée à la frontière, ou plus exactement de la demande d’admission sur le territoire au titre de l’asile, devrait être d’autoriser les demandeurs à accéder rapidement au territoire et à la procédure formelle d’examen des demandes de protection par l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Actuellement, la procédure à la frontière est déjà dérogatoire et consiste en un examen supplémentaire de recevabilité par rapport aux demandeurs qui se déclarent sur le territoire, dans une préfecture.

Le transfert de compétence ne se justifie pas :
- du point de vue de la nature du contentieux en question
La décision de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile reste une décision de refus d’entrée prise après avis de l’OFPRA.
La procédure dite du « manifestement infondé » n’est pas une procédure de détermination d’une protection à reconnaître ou octroyer à l’étranger. C’est une décision d’admissibilité sur le territoire, relevant du domaine de la police des étrangers.
- du point de vue de la compétence actuelle de la CNDA
La CNDA est une juridiction de plein contentieux qui reconnaît la qualité de réfugié et octroie le bénéfice de la protection subsidiaire (article L731-2 du CESEDA).
- du point de vue de la réalité de cette procédure
Depuis de nombreuses années, l’Anafé dénonce les conditions d’examen des demandes présentées au titre de l’asile par les personnes maintenues en zone d’attente, soulignant à titre principal un examen par l’OFPRA allant au-delà de la seule analyse du caractère « manifestement infondé » des demandes.

Le transfert de compétence va à l’encontre de la revendication de l’Anafé d’un droit à un recours suspensif pour tous les refus d’entrée

 

 

"nous voulons tuer tous les kurdes". Dessin réalisé par un demandeur d’asile kurde à Roissy en avril 2009

Campagne de sensibilisation

Actions auprès de vos députés : ce projet de loi est en cours de discussion. Envoyez leur l’argumentaire de l’Anafé (téléchargeable sur notre site) afin de les sensibiliser sur la question de l’asile à la frontière.
Vous pouvez également leur adresser : Note de l’Anafé, Le droit à un recours effectif aux frontières françaises : l’arrêt «Gebremedhin» et ses suites en France.

 

Témoignage de l’intérieur

I.O, L.M et N.R, toutes trois péruviennes, arrivées le 16 mars 2009, ont été elles aussi appelées pour leur 1ère tentative de renvoi ce matin.
« Un policier a tordu le bras d’I.O et lui a tenu derrière le dos ; elle a dit qu’il lui faisait mal, il lui a pincé le bras avec son autre main, et une femme policier lui a pris l’autre bras et lui a tordu dans le dos. Ils l’ont poussée, puis lui ont attrapé les pieds pour la faire marcher de force parce qu’elle n’avançait plus. Ils lui ont tapé la main et le poignet jusqu’à ce qu’elle lâche son sac. Elle pleurait de honte et de douleur. Un troisième agent de police est venu lui mettre les menottes. C’est dans ces conditions qu’elle a été amenée jusqu’à la salle d’embarquement. Elle continuait à pleurer et supplier, elle a finalement été ramenée au poste de police du terminal 2F.
Les deux agents se sont approchés de L.M, elle leur a dit qu’elle ne voulait pas prendre l’avion («on» lui avait dit que les premières fois, la police demandait, et il suffisait de dire non). La femme l’a attrapée et l’a poussée. Elle est tombée. Les deux lui ont tordu les bras par derrière. Elle continuait à dire qu’elle ne prendrait pas cet avion.
Sont alors allés vers N.R Sans rien lui dire, lui ont attrapé les bras et tordu derrière son dos. La femme l’a attrapée par les cheveux et à tiré en arrière. N.R s’est penchée pour ramasser une de ses sandales, et l’agent de la PAF lui a donné un coup de pied par derrière. Elle est tombée, et ils l’ont attrapée par les bras et l’ont traînée par terre.
Une Brésilienne était présente dans la cellule et a vu ce qui s’était passé. »

N.R a été admise par la police à entrer en France.
I.O et L.M ont été renvoyées à Bogota avant leur passage devant le juge.

 

- Communiqué MIGREUROP, 1er avril 2009, Naufrage au large de la Libye :une tragédie :
Le 29 mars 2009, à 30 km des côtes libyennes, a eu lieu un des plus grands naufrages de l’histoire de l’immigration en Europe : sur trois embarcations parties de Libye, deux ont coulé et une troisième a disparu.

- Publication en juillet 2009 du Rapport observatoire des frontières :
les frontières choisies pour cet premier ouvrage seront celles d’Oujda, de Calais et greco-turque.

- Lettre ouverte aux candidats aux élections européennes du 6 juin 2009
Les élections européennes sont ainsi l’occasion, pour Migreurop, de demander aux candidats aux élections européennes de s’engager sur la question de l’enfermement et des accords de réadmission.

 

Les news du site de l’Anafé

Asile

Communiqué Anafé, 20 avril 2009, La France expulse une famille de réfugiés palestiniens demandeurs d’asile à la frontière

Mineurs isolés

Rapport de l’association Défense des enfants international, Droits de l’enfant en France : au pied du mur -
Rapport alternatif au Comité des droits de l’enfant des Nations unies en vue de l’audition par la France en juin 2009
L’Anafé a participé à la rédaction de ce rapport (partie sur les zones d’attente).

 
   

Vient de sortir

Anafé, Inhumanité en zone d’attente, Bilan 2008, Observations et interventions de l’Anafé en zone d’attente de Roissy, mai 2009

Communiqué du 18 mai 2009, Les contre vérités du ministre de l’immigration:
L’Anafé, présente dans la zone d’attente de Roissy depuis 2004, a publié le 6 mai 2009 un rapport d’observations précis et circonstancié d’une année. Le ministre de l’immigration a pris connaissance de ce rapport et réagi par un court communiqué rejetant nos analyses.
Sans chercher à se lancer dans des polémiques, l’Anafé propose de renvoyer vers des sources incontestables (statistiques de tribunaux, rapport du Conseil de l’Europe, de la CNDS, du Comité des droits de l’enfant, etc.) et des parties de son rapport Inhumanité en zone d’attente- Bilan 2008 – Observations et interventions en zone d’attente de Roissy.

Chacun est ainsi en mesure de savoir ce qu’il en est.
La note Les contre vérités du ministre de l’immigration est téléchargeable sur notre site.
Pour commander le rapport Inhumanité en zone d’attente au prix de 7 euros frais de port inclus : contact@anafe.org

- Cette France-là - volume 1, mars 2009, 448 pages - 15 €
http://www.cettefrancela.net/

Cette France-là, c’est la France qui prend forme depuis le 6 mai 2007. Dès la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s’est engagé à faire de la politique d’immigration et d’identité nationale une clé de voûte de son mandat. Il importe de prendre cet engagement au sérieux, et de se donner les moyens d’en appréhender la réalité en effet : la mission confiée au ministère de l’Immigration rompt-elle véritablement avec l’action des gouvernements antérieurs ? Et si la rupture annoncée est avérée, de quelle nature est-elle ?

En espagnol :
- Derechos Humanos en la Frontera Sur 2008, Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía
http://www.apdha.org

La Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía viene realizando un seguimiento detallado desde el año 1997 de la evolución de los flujos migratorios que desde África se dirigen hacia España y de las políticas que pretenden afrontarlos y que obligan a una creciente clandestinización de los mismos, al tiempo que provocan graves violaciones de los derechos humanos.
Téléchargeable sur leur site

   

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